Au Guatemala, le lac du "Petit prince" étouffe sous la pollution

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Par Henry MORALES ARANA - Panajachel (Guatemala) (AFP)
Publié le 23 février 2018 - 07:45
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La rivière San Fransisco polluée se jette dans le lac Atitlan sur les hauteurs de la ville de Panajachel au Guatemala le 15 février 2018
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© JOHAN ORDONEZ / AFP
La rivière San Fransisco polluée se jette dans le lac Atitlan sur les hauteurs de la ville de Panajachel au Guatemala le 15 février 2018
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"Il n'y a plus beaucoup de crabes, ni de poissons", se désole Tomas, pêcheur de 71 ans sur le lac Atitlan au Guatemala, dont la beauté aurait inspiré Antoine de Saint-Exupéry, mais qui est désormais asphyxié par la pollution.

Après un accident d'avion en 1938, l'écrivain français avait séjourné plusieurs mois au bord du lac, le temps de se remettre sur pied. Selon les habitants, il aurait trouvé l'inspiration dans la beauté du paysage, entre les eaux claires de l'Atitlan et les trois volcans qui l'entourent, pour écrire son chef d'oeuvre.

Aujourd'hui, il serait sans doute horrifié de voir se déverser dans le lac, principale attraction touristique du Guatemala, les eaux sales et fétides des villages proches.

Sur sa barque blanche, Tomas en est persuadé: si le lac, situé à 1.500 mètres d'altitude, va si mal, "c'est la faute aux égouts" qui s'y écoulent, un phénomène aggravé par le fait qu'il s'agisse d'un lac endoréique, sans cascade ni ruisseau pour évacuer ses eaux.

Plusieurs études, menées par des organismes privés et publics, confirment ce que dit le pêcheur, citant les eaux résiduelles comme principales sources de pollution de l'Atitlan, suivies des déchets solides qui y sont déposés, ainsi que des produits chimiques déversés par les activités agricoles voisines.

Près du rivage, des bouteilles en plastique, des paquets de chips vides et des emballages de glaces traînent dans l'eau, pendant que des enfants y jouent et un autre pêcheur lance son filet, sans grand espoir.

D'une surface de 125 kilomètres carrés et d'une profondeur allant jusqu'à 320 mètres, le lac, un ancien cratère volcanique, est considéré comme sacré par les populations mayas, dont trois ethnies - kaqchikel, tz'utujil et k'iche' - se répartissent entre les 15 villages qui l'entourent.

Ses eaux sont loin d'être calmes, balayées en permanence par un vent fort, le Xocomil, né selon une légende locale des soupirs d'une princesse ayant attendu en vain le retour de son amoureux.

Mais depuis ces dernières années, le lac lui aussi émet des soupirs: il "envoie des signaux d'alarme, que quelque chose va mal", explique à l'AFP Monica Orozco, directrice du Centre d'études Atitlan de l'université privée de la vallée du Guatemala.

Dès 2009, les spécialistes ont noté "une floraison énorme" de cyanobactéries après de fortes pluies ayant drainé déchets et engrais dans le lac, comme du phosphore et du nitrogène. Il y a deux ans, le phénomène s'est répété.

- 'Alarmant' -

"L'eau traverse un processus d'eutrophisation (enrichissement excessif, ndlr) et perd de son oxygène", indique Monica Orozco. Conséquence: "La vie aquatique en souffre beaucoup".

Pour l'experte, c'est "un processus de dégradation alarmant".

Sur plusieurs plages en bordure du lac, les algues prolifèrent déjà, révélant au grand jour le mécanisme en cours.

"Le lac, comme n'importe quel lac au monde, subit une détérioration avec la hausse de la population" qui vit sur ses berges, souligne Luisa Cifuentes, directrice de l'Autorité de gestion durable du bassin du lac Atitlan (Amsclae, public).

La zone est désormais peuplée par 360.000 personnes dont l'activité quotidienne contribue à aggraver la pollution de l'Atitlan, sans oublier la forte présence de touristes guatémaltèques et étrangers, explique-t-elle.

Pour tenter de sauver le lac, des campagnes pédagogiques en faveur d'un meilleur traitement des déchets sont menées depuis quelques années, ce qui a généré "une plus grande sensibilité sociale" sur le sujet, raconte Ernesto Celada, coordinateur de l'initiative ProAtitlan.

Mais les eaux souillées qui noircissent le lac restent le principal problème.

Selon Luisa Cifuentes, seules 13 usines de traitement des eaux existent autour du lac, ce qui est largement insuffisant.

A court terme, les autorités prévoient de rénover ces usines "pour les rendre plus efficaces" et réduire les éléments nutritifs nocifs risquant d'être déversés.

Mme Cifuentes évoque aussi une autre option, plus durable mais sans doute plus éloignée dans le temps: la création d'un grand site de traitement des eaux usées, pour gérer toutes celles menaçant le lac et les réutiliser comme source d'énergie.

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