Au Maroc, les migrants ne renoncent pas malgré les refoulements

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Par Ismail BELLAOUALI - Tanger (Maroc) (AFP)
Publié le 25 octobre 2018 - 13:02
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Un migrant se cache dans une forêt pour échapper à la police marocaine à Tanger (Maroc), le 20 octobre 2018
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© FADEL SENNA / AFP
Un migrant se cache dans une forêt pour échapper à la police marocaine à Tanger (Maroc), le 20 octobre 2018
© FADEL SENNA / AFP

"Je reviendrai ici même si on me renvoyait dix fois": expulsé loin de Tanger par trois fois, Achille, un Camerounais de 28 ans, ne renonce pas à son "rêve" de gagner clandestinement l'Espagne, malgré les rafles et les déplacements forcés des clandestins comme lui.

Accompagné de sa femme et de son fils de deux ans, ce jeune Camerounais a été interpellé fin septembre à Tanger, dans le nord du Maroc, alors qu'il s'apprêtait à embarquer dans un bateau pneumatique.

Après quatre jours passés au sous-sol d'un commissariat à Tanger, Achille et sa famille ont été renvoyés, avec d'autres migrants, dans des bus à destination de Tiznit, une ville marocaine située à 800 kilomètres au sud.

Ils sont plusieurs milliers à avoir subi le même sort, depuis que les autorités marocaines ont lancé l'été dernier une vaste campagne de "relocalisation", ces déplacements forcés de migrants vers le sud du pays, parfois accompagnés de rapatriement en avion vers les pays d'origine.

Officiellement, il s'agit de "lutter contre les réseaux de trafic qui s'activent dans le nord du royaume", selon les autorités marocaines, qui évoquent 54.000 tentatives de passage avortées entre janvier et fin août.

Pour les associations, cette campagne a été marquée par des "violations des droits de l'Homme". Mais les migrants ne sont pas pour autant découragés et ceux qui n'ont pas été renvoyés dans leur pays natal, reviennent par centaines à Tanger, avec l'objectif de gagner coûte que coûte l'Espagne, juste en face.

C'est le cas d'Achille, arrivé au Maroc en 2015 au terme d'une odyssée longue et aléatoire. "Tanger est ma ville, je ne la quitterai que pour l'Espagne", déclare-t-il à l'AFP, entouré d'une quinzaine de Camerounais qui squattent un terrain vague à l'abri des regards, dans l'espoir de lendemains meilleurs.

Certains tuent le temps allongés sur des matelas, d'autres sont à l'affût d'une éventuelle intervention des forces de l'ordre qui mettrait en péril leur rêve de rejoindre "l'eldorado" européen.

- "Violences et violations" -

"Nous vivons ici comme des animaux", se désole Wilfred, 35 ans. "Ces gens autour de moi sont mes frères, aujourd'hui ils sont Africains, demain ils deviendront Européens", espère-t-il.

Ce Camerounais a eu plus de "chance" que d'autres: après son arrestation, il a été renvoyé en bus à Casablanca, à 380 kilomètres au sud de Tanger, car, assure-t-il, "ceux qui payent sont moins éloignés" des côtes méditerranéennes.

C'était sa troisième expulsion après deux autres vers Tiznit et l'Algérie.

Les déplacements forcés suscitent des critiques virulentes des défenseurs des droits de l'homme. Le Groupe antiraciste d'accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (Gadem) a dénoncé mi-octobre la politique "discriminatoire" du Maroc vis-à-vis des quelque 6.500 migrants originaires d'Afrique subsaharienne, dont 121 mineurs, 17 bébés et 12 femmes enceintes déportés entre juillet et début septembre.

Cette association a notamment fustigé la situation de subsahariens "retenus dans des commissariats à Tanger", "hors cadre juridique", sans respect des procédures.

Deux Maliens, dont un adolescent de 16 ans, ont trouvé la mort début août lors de l'un de ces transferts controversés. Les autorités locales ont ouvert une enquête pour déterminer les circonstances de cet "accident".

Selon les autorités, les "opérations de relocalisation visent fondamentalement à extirper les candidats de l'étau des réseaux de trafic qui s'activent dans le nord du royaume".

- "Pas d'autre choix" -

Ali, 20 ans, sait qu'il peut à tout moment être arrêté et renvoyé, mais ne renonce pas pour autant. "Seuls les faibles renoncent", souffle-t-il. "Je suis certain de pouvoir arriver un jour en Espagne, et c'est cet espoir qui me donne la force de me battre".

Assis à ses côtés, Mohamed, 18 ans, est lui aussi "persuadé d'arriver en Espagne". Il est retourné à Tanger pour "rester proche" de son but.

Mais le retour est semé d'embûches: les compagnies d'autocar à Casablanca "refusent de vendre des billets aux migrants clandestins", selon plusieurs témoignages recueillis par l'AFP sur place. Wilfred assure avoir payé une dizaine d'euros un particulier qu'il appelle un "taxi-mafia" pour revenir à Tanger.

Ceux qui reviennent se rendent généralement au quartier Boukhalef, à Tanger. Là vit une importante communauté de migrants d'origine subsaharienne, dont de nombreux candidats à l'exil. De là se préparent les traversées dans des embarcations de fortune, épopées dangereuses, parfois mortelles.

Selon l'OIM , 43.000 migrants ont gagné l'Espagne depuis le début de l'année, dont 38.000 par voie maritime et 362 sont morts ou portés disparus en route vers l'Espagne.

Wilfred reconnait "être pris d'angoisse quand il apprend que des migrants ont perdu la vie durant des traversées". Mais il ne veut pas "faire marche arrière", car "il n'a pas d'autre choix", confie-t-il.

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