Au Nicaragua, des habitants réduits à manger le poisson d'un lac pollué

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Par AFP
Publié le 05 octobre 2017 - 12:40
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Des femmes vendent des poissons pêchés dans le lac Xololtan au marché de La Bocana de Tipitapa, près
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Des femmes vendent des poissons pêchés dans le lac Xololtan au marché de La Bocana de Tipitapa, près de Managua, au Nicaragua, le 26 septembre 2017
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Des bidons, des vieux seaux, des sacs plastiques par centaines: quand William Coronado va pêcher dans les eaux du lac Xololtan au Nicaragua, l'un des plus grands d'Amérique centrale, il sait qu'il ne trouvera pas seulement des poissons.

"Le lac est pollué, on y jette toutes les immondices (...), toute la saleté déversée par Managua", la capitale, se désole ce pêcheur de 56 ans. "C'est dégueulasse".

Fatigué, William vient de passer deux jours à affronter le soleil brûlant et les vents forts pour rapporter, dans sa modeste barque, une centaine de mojarras et guapotes, des poissons locaux, qu'il vendra à 1,3 dollar la douzaine au marché de La Bocana de Tipitapa, près de Managua.

Son épouse, Rosa, l'attend dans leur maison, construite avec de la ferraille et du plastique à 300 mètres du lac, où le couple vit dans des conditions d'extrême pauvreté, comme la plupart de leurs voisins.

D'une superficie de 1.052 kilomètres carrés, le lac Xolotlan, également appelé lac de Managua, est l'un des cinq principaux d'Amérique centrale.

Il est aussi l'un des plus pollués, un fléau qui le hante depuis bientôt un siècle: entre 1967 et 1992, l'entreprise chimique américaine Pennwalt y a déversé régulièrement du mercure.

Et de 1927 à 2009, Managua y a écoulé sans ménagement la totalité des eaux usées de ses habitants et de ses usines, s'épargnant tout assainissement préalable.

Il y a huit ans, le gouvernement a finalement inauguré un site de traitement des eaux résiduelles, grâce à des fonds d'Allemagne et de la Banque interaméricaine de développement (BID).

Depuis, la pollution est moindre, les mauvaises odeurs qui émanaient du lac se sont dissipées et Xolotlan est devenu une attraction touristique de la région.

- Eaux troubles -

Mais Ruth Herrera, ex-directrice de l'entreprise d'État chargé des eaux, n'est guère optimiste: selon elle, il faudra encore 100 ans pour nettoyer entièrement le lac, voire plus si les habitants continuent d'y rejeter leurs déchets.

Actuellement, les eaux du Xolotlan restent troubles, poussant récemment les autorités sanitaires à recommander aux femmes enceintes d'éviter de consommer le poisson guapote qui y est pêché, afin de prévenir tout problème neurologique chez leur futur bébé, comme un retard de développement mental ou de croissance en raison des taux élevés de mercure.

Une étude réalisée l'an dernier par le Centre de recherche sur les ressources aquatiques (CIRA) de l'Université autonome du Nicaragua, avec le soutien du Japon, a montré que cette espèce présente un niveau de 0,46 microgrammes de mercure par kilo de poisson (ppm), au-delà du seuil autorisé (0,40).

Les autres espèces sont à des niveaux inférieurs et la majeure partie du lac affiche des taux faibles, selon l'étude.

Les écologistes se montrent eux très méfiants.

"Peut-être que ces poissons ont des concentrations basses (en mercure), mais à long terme la population peut voir sa santé affectée si elle les consomme", déclare à l'AFP le responsable environnement de l'ONG nicaraguayenne Centro Humboldt, Jurguen Guevara.

Mme Herrera déconseille elle aussi de manger les poissons du lac, notant que la population locale - avec environ 100.000 personnes vivant aux abords du Xolotlan - a pu développer une certaine résistance à des maladies, à force de le faire.

"Nous mangeons tous les jours le poisson (du lac) et il ne nous est rien arrivé", témoigne ainsi Ofelia Ramirez, habitante de Tipitapa.

Les riverains n'ont surtout pas le choix, dans ce pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté: dans le village voisin de Bocana de Tipitapa, plus de 2.000 habitants dépendent ainsi du lac pour survivre, leur fournissant nourriture et source de revenus, grâce à la vente des poissons sur les marchés locaux.

"Nous ramenons environ 20 douzaines" de poissons chaque jour, raconte Juan Ramirez, 30 ans, avant de partir en canoë avec ses deux enfants qui l'aident à pêcher.

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