Au Nicaragua, la vie entre les barricades et les balles

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Par Maria Isabel SANCHEZ - Masaya (Nicaragua) (AFP)
Publié le 25 juin 2018 - 20:57
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Un homme contourne avec une poussette une barricade à Masaya, au Nicaragua, le 20 juin 2018
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© INTI OCON / AFP
Un homme contourne avec une poussette une barricade à Masaya, au Nicaragua, le 20 juin 2018
© INTI OCON / AFP

En fauteuil roulant, Aristina zigzague entre les barricades pour atteindre l'église tandis qu'au cimetière voisin, on enterre trois habitants tués par balles: au Nicaragua, la vie est rythmée depuis deux mois par la vague de protestation contre le président Daniel Ortega.

Le pays pauvre d'Amérique centrale voit son quotidien bousculé alors que dans de nombreuses villes, les rues sont parsemées de pavés empilés par les habitants pour faire barrage aux forces de l'ordre et aux groupes paramilitaires.

Mais à Masaya, auto-déclarée en rébellion et la plus touchée par la répression des autorités, rien ne peut empêcher Aristina Cerdas, 78 ans, d'aller à l'église de son quartier pauvre et c'est son fils qui se charge de l'accompagner.

"Je n'ai pas peur d'y aller: c'est à l'Eglise que je reprends des forces. Nous devons prier beaucoup, car la situation est vraiment mauvaise", confie la vieille dame à l'AFP, pendant que son fils pousse son fauteuil en hâtant le pas, par peur des fusillades.

Située à 35 kilomètres de la capitale Managua, la ville de 100.000 habitants - en majorité des agriculteurs et des artisans - paraît une zone de guerre, entre tranchées et décombres.

Le président Ortega, au pouvoir depuis 2007 après l'avoir déjà été de 1979 à 2000, est confronté à un mouvement de colère historique et le zèle des forces de l'ordre a déjà fait plus de 200 morts en deux mois.

- Peur dans les rues -

A Masaya, beaucoup de magasins entrouvrent à peine leur porte pour répondre aux clients, mais certains commerçants se risquent à aller dans la rue, même si on entend au loin un tir d'arme à feu ou l'explosion d'un mortier artisanal: c'est le cas de Denis Lopez, qui tient avec sa femme Johana un stand de fromage artisanal.

"Nous avons peur qu'ils nous tuent, mais si nous ne vendons pas, nous ne mangeons pas", explique Denis, père de trois enfants. "A cause des fusillades on ne peut pas sortir de nos maisons et, si on le fait, c'est pour chercher de quoi nourrir nos enfants", ajoute-t-il tout en réglant sa vieille balance.

Depuis son stand, il observe des habitants assitant aux funérailles de trois habitants, tués par balles la veille lors du violent assaut lancé par les forces de police et des civils encagoulés et armés qui cherchent à reprendre le contrôle de la ville.

Quand les fusillades redoublent d'intensité, Denis et Johana se réfugient dans une boutique au coin de la rue. Mais ils ne peuvent arrêter de travailler ni risquer de perdre leur marchandise, vite périssable, explique Johana.

Francis Vega, 30 ans, n'a pas le choix, elle non plus, et traverse le parc central de Masaya avec son chariot bleu. "Je me risque à sortir car j'ai quatre enfants, et comme les gens ne sortent pas, j'ammène les légumes chez eux", explique-t-elle. "S'ils doivent me tuer, ce sera en travaillant".

- "Plus de sang" -

Sous la chaleur humide typique de ce pays, Jessica Vivas, 36 ans, s'est installée avec quatre membres de sa famille sur des chaises devant sa maison. "Nous prenons l'air, nous donnons de l'eau aux garçons (les manifestants, ndlr) et nous parlons de choses tristes car ici un gamin est mort", dit-elle.

Assise sur un banc en bois à un coin de rue, Bertha Lopez, 65 ans, vend des rondelles de bananes frites, à côté d'une énorme tranchée qui empêche les voitures de passer.

"Quand vient le grabuge, je rentre dans cette maison", montre-t-elle.

Sur une table, près d'un carton d'oeufs et d'un panier d'oignons, de tomates et de piments, Concepcion Gaitan a elle installé un petit autel avec des bougies et des fleurs artificielles.

"On ne peut même pas travailler. Je demande à Jesus et à la Vierge que vienne la paix. Nous ne voulons plus de sang", implore la femme de 68 ans, portant tablier et sandales.

Denis, lui, s'inquiète que plus personne n'achète son fromage, par crainte de sortir dans la rue. "Maintenant nous voulons que tout ça se termine, on ne peut pas continuer ainsi. Si nous ne mourons pas d'une balle, nous allons mourir de faim".

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