Ces Vénézuéliens lassés de la crise qui ont refusé de voter

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Par Margioni BERMÚDEZ - Caracas (AFP)
Publié le 24 mai 2018 - 01:48
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Un bureau de vote déserté lors de lélection présidentielle à Caracas, le 20 mai 2018
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© Juan BARRETO / AFP/Archives
Un bureau de vote déserté lors de lélection présidentielle à Caracas, le 20 mai 2018
© Juan BARRETO / AFP/Archives

Une "démonstration historique de désobéissance civile": ainsi explique Gustavo Le Moire, retraité vénézuélien, son choix de ne pas voter dimanche à la présidentielle, comme des millions d'autres, épuisés par la crise économique et méfiants face au pouvoir en place.

Le scrutin a offert à Nicolas Maduro, élu en 2013, un nouveau mandat jusqu'en 2025, immédiatement contesté par la communauté internationale.

Mais il ne lui a pas donné la légitimité des urnes: 54% des électeurs ne se sont pas déplacés, le taux le plus élevé depuis les débuts de la démocratie dans le pays en 1958.

"C'était une abstention militante, une manifestation explicite de mécontentement", explique à l'AFP Gustavo, sorti célébrer lundi soir, avec une vingtaine d'autres opposants, sur la place Altamira, dans un quartier aisé de l'est de Caracas.

Une abstention très élevée était le scénario le plus envisagé par les analystes, compte tenu de la lassitude de l'électorat et de l'appel au boycott de la grande coalition d'opposition, la Plateforme de l'unité démocratique (MUD), qui qualifiait le scrutin de "supercherie".

Pour beaucoup de Vénézuéliens, le résultat était couru d'avance. Sans surprise, Nicolas Maduro a décroché 68% des suffrages contre 21% pour son principal adversaire, Henri Falcon.

"On savait que Maduro allait gagner de toute façon, en manipulant les gens avec le carnet de la patrie", une carte électronique distribuée par le gouvernement, qui donne le droit à des aides et des programmes sociaux, critique Elvis Ramirez, vendeur ambulant.

- Accusations d'achat de votes -

Henri Falcon a rejeté les résultats de l'élection en accusant le parti socialiste au pouvoir d'avoir acheté des votes.

Il n'a pas été le seul: mardi, la représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini a dénoncé "de nombreuses irrégularités signalées le jour du scrutin, y compris l'achat de votes".

"L'Union européenne envisage des sanctions", a-t-elle prévenu.

Durant la campagne, le président socialiste n'a pas hésité à offrir des prix aux détenteurs du carnet de la patrie se déplaçant pour aller voter.

Elvis Ramirez regrette ce clientélisme, alors que le pays pétrolier est plongé dans une profonde crise économique, se débattant entre hyperinflation - attendue à 13.800% en 2018 par le FMI - et graves pénuries.

"Les gens se sont vendus", soupire-t-il, mais "à quoi vont leur servir ces aides avec une inflation aussi élevée?"

Une partie des électeurs ont aussi refusé de voter faute d'être convaincus par aucun des candidats.

"Je n'ai pas voté", confie Yajaira Arroyo, vendeuse de légumes de 22 ans. "Cela va être pareil pour nous, quel que soit le gagnant", ajoute-t-elle depuis son petit stand du marché de Petare, favela de l'est de la capitale.

- "Le cirque de Maduro" -

Cette forte abstention marque une vraie rupture dans l'histoire du Venezuela, où la participation était généralement élevée lors des scrutins présidentiels, dépassant même les 90% lors des quatre premières élections ayant suivi la chute de la dictature de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958).

Et quand Nicolas Maduro a battu de justesse l'opposant Henrique Capriles en 2013, 76,69% des électeurs avaient déposé leur bulletin dans l'urne.

Pour Mirta Guedez, professeure de l'Université centrale du Venezuela (UCV), cette abstention record porte "un coup" au gouvernement, car elle montre le scrutin comme "une farce pour satisfaire" Maduro et le maintenir au pouvoir.

Angela Blanco, physiothérapeute de 28 ans, a pourtant choisi de voter.

"Je crois que c'était une erreur de s'abstenir", dit cette jeune femme au chômage depuis deux ans, qui raconte s'être sentie bien seule dimanche: "Quand je suis arrivée au bureau de vote, il était vide, les fonctionnaires étaient endormis".

Pour Elvis Ramirez, il est urgent de lancer un plan de relance de l'économie, mais "avec ce gouvernement, ça n'arrivera pas", car "plus le peuple est pauvre, plus le gouvernement a de pouvoir".

Cet ancien partisan d'Hugo Chavez (président de 1999 à son décès en 2013 et mentor politique de Maduro) est désabusé: "Je n'ai pas voulu voter à cette élection car j'ai vu que c'était un cirque, le cirque de Maduro".

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