Colombie : les champs de coca, cimetière des petites mains du trafic

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Par Hector VELASCO - Catatumbo (Colombie) (AFP)
Publié le 02 octobre 2018 - 10:22
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A l'ombre des plants de coca, la croix d'une tombe anonyme. La guerre de la drogue en Colombie a fait de ces champs des cimetières de fortune pour nombre des dizaines de milliers de disparus dans la spirale de la violence.

Polilla gît a priori dans une des fosses qui affleurent parmi la coca, matière première de la cocaïne. Les habitants n'ont connu ce "raspachin", ramasseur de coca, que sous ce surnom. Il a été tué par des paramilitaires en 2003 dans le Catatumbo. Il n'avait pas 30 ans.

Sa famille n'a pu s'aventurer jusque là pour le rechercher, de crainte de représailles. Faute d'aide des autorités, elle a contacté l'an dernier le Comité International de la Croix-Rouge (CICR).

"Nous ne voulons pas nous substituer à l'Etat. Mais quand l'accès est impossible, nous agissons pour rechercher les personnes disparues, mortes", a expliqué à l'AFP Derek Congram, coordinateur du CICR.

Selon les habitants, un corps criblé de balles a été enterré par les "cocaleros", cultivateurs de coca, il y a 15 ans, après avoir été abandonné plusieurs jours aux intempéries. A titre d'exemple, sur ordre de ses bourreaux. Ce pourrait être Polilla (La Mite).

- Pris entre deux feux -

Entre 1999 et 2004, des centaines de raspachines - échelon le plus bas du narco-trafic - ont été massacrés par des paramilitaires d'extrême droite ou par des guérilleros les accusant de travailler pour l'ennemi.

Le CICR gère actuellement 1.888 demandes de recherches en Colombie, dont une centaine dans le Catatumbo, région du département Norte de Santander (nord-est), frontalière du Venezuela. Ce n'est là qu'un échantillon du macabre dossier des quelque 80.000 disparus de six décennies de violences et d'un conflit armé qui n'en finit pas.

"La quantité de sang versé dans cette région est énorme. Il y a beaucoup de morts, ouvriers agricoles comme patrons", explique un leader paysan, se présentant seulement comme Rogelio.

Ici, personne ne veut être identifié. Le temps a passé, pas les menaces, d'autant plus que les culture de coca et la production de drogue battent des records.

Si les assassins de Polilla n'opèrent plus dans la région, de même que les Farc, désarmées à la suite de l'accord de paix de 2016, comme les paramilitaires depuis 2006 - la présence armée reste importante. Cela dans un océan de coca: le Catatumbo concentre 16% des plantations de Colombie, qui a terminé 2017 avec un record de 171.000 hectares, selon l'ONU.

Et là où pousse la coca, d'autres groupes rebelles ou narco-trafiquants se renforcent.

Avant de s'engager sur les pistes du Catatumbo, le CICR a négocié des garanties de sécurité avec les bandes qui laissent de menaçantes traces peintes sur les masures en bois. Il s'est assuré que les abords des tombes ne soient pas minés.

Enfin, le CICR atteint le site où Polilla a trouvé de quoi gagner sa vie, puis la mort, il y a 15 ans.

Pioches et pelles en main, l'équipe fouille la terre. A moins d'un mètre, des bottes en caoutchouc, un lambeau de chemise à carreaux dans un hamac. Pas d'ossements. Comme s'ils avaient fondu dans la chaleur humide.

Ce n'est pas un résultat "idéal, mais pas un échec non plus", explique Derek Congram. Dans certains cas, "les restes se sont décomposés", mais il y a "des objets personnels qui permettent d'identifier la personne" et "pour la famille c'est déjà quelque chose".

- Tuer et mourir -

Depuis 1997, le CICR a récupéré les restes de 151 disparus. Qu'il s'agisse d'os ou de vêtements, il les remet au service de médecine légale, où l'identification n'est toutefois pas toujours possible.

Comme dans le cas d'Aurelio. En 2001, cet habitant du Catatumbo a perdu son frère, un raspachin de 19 ans tué par des paramilitaires. A cette époque, raconte-t-il à l'AFP, les cadavres étaient jetés à la rivière ou enterrés n'importe où. "Beaucoup étaient contraints de creuser leur tombe."

Il semblerait que le corps de son frère soit dans un champ de coca, avec trois autres. Mais un glissement de terrain a déplacé les fosses. Le CICR reporte les recherches en attente de coordonnées plus précises.

Avec l'explosion des narco-cultures, les affrontements entre guérillas de l'Armée de libération nationale (ELN), de l'Armée populaire de libération (EPL), officiellement dissoute, et dissidents des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), le Catatumbo est une bombe à retardement.

En repartant, le CICR s'arrête dans un cimetière et exhume les restes présumés d'un paysan tué par des guérilleros en 1993. Sa famille avait fui, sans pouvoir lui donner de sépulture. Des vêtements et des os sont trouvés.

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