Dans le vieux Mossoul, les corps de jihadistes empoisonnent la vie des habitants

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Par Mohammed SALIM - Mossoul (Irak) (AFP)
Publié le 22 janvier 2018 - 10:40
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Des habitants de Mossoul se bouchent le nez à cause de l'odeur pestilentielle qui se dégage des cadavres de jihadistes qui trainent toujours dans les rues de la deuxième ville d'Irak, le 11 janvier 20
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© Ahmad MUWAFAQ / AFP Photo
Des habitants de Mossoul se bouchent le nez à cause de l'odeur pestilentielle qui se dégage des cadavres de jihadistes qui trainent toujours dans les rues de la deuxième ville d'Ir
© Ahmad MUWAFAQ / AFP Photo

Pendant trois ans, ils ont rendu la vie impossible aux habitants de Mossoul. Six mois après avoir été défaits, les jihadistes continuent de leur empoisonner la vie dans la vieille ville où personne ne veut se charger de leurs encombrants cadavres.

Dans de nombreuses zones du coeur historique de la deuxième cité d'Irak, les rares personnes osant s'aventurer ne progressent que le nez et la bouche protégés par des masques et des écharpes tant l'odeur est insupportable.

Au milieu des amas de gravats qui surplombent le fleuve Tigre, des restes humains sont en putréfaction. Ces corps, qui se décomposent depuis des mois dans une odeur pestilentielle, n'ont pas été enterrés.

Ici ou là, sur un mur ou sur une pancarte, des combattants progouvernementaux ont inscrit à la bombe de peinture: "cimetière des gens de Daech", selon l'acronyme arabe du groupe Etat islamique (EI) qui a occupé la ville durant trois ans, de 2014 à mi-juillet 2017.

Car ceux qui gisent là, assurent habitants et secours, sont des jihadistes. Leurs habits, de longues tenues afghanes, et leurs longues barbes --parfois même les ceintures d'explosifs qui entourent encore leur torse-- les ont trahis.

Tant qu'ils sont là, Othmane Ahmed, chômeur de 35 ans, n'imagine pas une seconde revenir vivre avec sa femme et leurs deux enfants dans la vieille ville.

- 'Creuser à la main' -

"On a peur à cause de tous ces corps et de cette odeur atroce qui pollue l'air", affirme-t-il à l'AFP, dans une ruelle du vieux Mossoul, non loin de sa maison qu'il est désormais incapable de reconnaître avec précision, tant les destructions causées par des mois de bataille pour chasser les jihadistes sont considérables.

Un peu plus loin, Abou Chaker, 60 ans, dit redouter "les microbes et les épidémies". Comme Othmane Ahmed, lui non plus ne sait plus vers qui se tourner.

La Défense civile explique que sa mission, terminée le 10 janvier, consistait uniquement à sortir les corps des civils des décombres.

Des cadavres de femmes, d'enfants et d'hommes de tous âges, les hommes de la Défense civile en ont transporté des centaines, jour après jour, dans de grands sacs mortuaires noirs.

Le bilan des civils morts dans la bataille de Mossoul reste toujours inconnu.

Chaque extraction a été une épreuve: "dans la Vieille ville, les accès sont étroits et il nous était impossible d'entrer avec nos véhicules et notre matériel", témoigne le lieutenant-colonel Rabie Ibrahim. "Pour creuser, nous utilisions des outils légers et nos mains, donc sortir les corps nous a demandé énormément d'efforts et beaucoup de temps", explique-t-il encore à l'AFP.

A chaque signalement des familles, racontent ses collègues, ils se sont lancés à l'assaut des tonnes de gravats qui ont désormais remplacé la vieille ville multiséculaire. Pour éviter d'enterrer des corps non identifiés et d'augmenter encore le nombre des disparus, la Défense civile assure n'agir qu'en compagnie de proches, capables de reconnaître les cadavres.

La prise en charge des dépouilles des jihadistes --des Irakiens mais aussi d'autres venus du monde entier-- relève, elle, de la municipalité.

"Plus de 450 ont déjà été sortis des décombres, mais des centaines d'autres s'y trouvent encore", explique à l'AFP le directeur des services de la municipalité, Abdel Sattar al-Habbou. Pour expliquer la lenteur des opérations, il rappelle, que la plupart des véhicules et du matériel des autorités locales ont été volés ou détruits par les jihadistes.

- 'Avant la pluie' -

En plus, dit-il, les employés de la municipalité progressent difficilement, certains corps portant encore des explosifs non désamorcés par les forces de sécurité. Les cadavres extraits sont placés dans des fosses communes, sans rituel d'inhumation.

Désormais, prévient Hossam Eddine al-Abar qui siège au Conseil provincial, le temps presse. "Il faut enlever ces corps avant les pluies et la montée du Tigre dont les eaux emporteront ces cadavres qui pourrissent sur ses rives", plaide-t-il.

Si le fleuve vient à être contaminé, il sera impossible de purifier l'eau car les stations de filtrage et d'épuration des environs ont été détruites par les jihadistes ou par les neuf mois de durs combats autour et dans Mossoul.

Un médecin, qui préfère garder l'anonymat, assure qu'aucun cas n'a été signalé pour le moment. Mais ces corps en putréfaction, souligne-t-il, "polluent l'air et l'eau et pourraient bientôt provoquer des maladies".

Au-delà, c'est tout l'écosystème du fleuve qui pourrait être contaminé et transmettre des maladies, affirme de son côté le docteur Ahmed Ibrahim, gastro-entérologue. "Ces maladies peuvent se développer maintenant, comme elles peuvent apparaître encore pendant des années", prévient-il.

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