De l'Afghanistan au bush : les réfugiés qui renoncent aux villes australiennes surpeuplées

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Par Glenda KWEK - Griffith (Australie) (AFP)
Publié le 18 novembre 2018 - 09:10
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Ali, réfugié afghan et Hazara, dans le restaurant qu'il a ouvert dans le bush australien, à Griffith, le 28 septembre 2018
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© PETER PARKS / AFP
Ali, réfugié afghan et Hazara, dans le restaurant qu'il a ouvert dans le bush australien, à Griffith, le 28 septembre 2018
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Réfugié afghan de la minorité hazara, Ali est désormais installé dans le vaste arrière-pays australien. Il a ouvert un "Restaurant de l'amitié afghane" en hommage à l'accueil chaleureux qu'il dit avoir reçu à son arrivée à Griffith voici cinq ans.

Ce père de trois enfants âgé de 44 ans figure parmi un nombre croissant de réfugiés et de migrants qui ont préféré saisir des occasions d'emploi dans le bush, plutôt que d'aller dans des grandes villes comme Sydney et Melbourne, où les prix de l'immobilier sont astronomiques.

Le mot "amitié" écrit en lettres rouges brille au dessus de la tête du cuisinier. Les clients défilent, attirés par l'odeur alléchante des brochettes d'agneau.

C'est le premier restaurant afghan de Griffith, à six heures de route de Sydney en plein coeur d'une région agricole et viticole. L'établissement sert des plats à des années-lumière des tourtes et des frites habituellement proposées dans le bush de l'immense île-continent.

"Je dis à tous mes amis, surtout aux Afghans, de venir à Griffith car c'est très accueillant", raconte Ali à l'AFP. Il ne veut pas donner son nom de famille pour protéger les siens restés au pays. "On peut aussi trouver du boulot car il n'y a pas trop d'habitants".

L'Australie est un pays d'immigrants. Près de la moitié des 25 millions d'habitants sont nés à l'étranger ou ont au moins un parent né à l'étranger.

Canberra accueille environ 14.000 réfugiés chaque année, auxquels s'ajoutent parfois des arrivées en vertu de programmes d'accueil exceptionnels comme celui qui a concerné récemment 12.000 Irakiens et Syriens.

- "Trop élevé" -

Mais la politique extrêmement dure menée par l'Australie contre les boat-people clandestins et des incidents liés au racisme lui ont donné la réputation d'être inhospitalière envers les migrants non-Blancs.

D'après l'Institut de recherches Lowy, le ressentiment antimigrants est monté en flèche bien que le nombre d'arrivants, limité à 190.000 chaque année, soit resté stable.

Pour la première fois, le sondage annuel 2018 de Lowy montre que plus de la moitié des Australiens estiment le nombre de migrants "trop élevé", contre 40% en 2017.

L'adoption par la classe politique conservatrice classique des messages de la droite dure a banalisé certains préjugés, une situation aggravée par la stagnation des salaires et les coûts élevés de l'immobilier dans les grandes villes, jugent les experts.

Mais parallèlement, les agglomérations de l'intérieur du pays manquent de bras et d'habitants.

Le ministre des Populations et des villes Alan Tudge veut ainsi obliger les nouveaux migrants à habiter plusieurs années en zone rurale pour décongestionner les grands centres urbains.

Cette annonce récente a été descendue en flammes par l'opposition, qui juge cette politique inapplicable et dit que les migrants auront du mal à s'intégrer dans des communautés rurales.

Mais le son de cloche est totalement différent chez Jock Collins, chercheur à l'Université de technologie de Sydney, qui suit 250 familles arrivées récemment d'Irak, de Syrie et d'Afghanistan. Nombre d'entre elles ont un jugement positif sur leur expérience après s'être installées dans des localités perdues comme Toowoomba, à une heure et demie de route de Brisbane, souligne-t-il.

- "Success story" -

Pour que ça marche, poursuit-il, il faut un environnement favorable, "une ville qui se plie en quatre pour accueillir les réfugiés", des opportunités d'emploi et la présence d'autres familles à l'expérience similaire.

"Beaucoup de villes régionales et rurales perdent des habitants, en particulier en raison des jeunes qui s'en vont. L'immigration peut compenser", dit M. Collins.

Joanne Fitzpatrick, qui aide environ 80 réfugiés afghans de Griffith et de la localité voisine de Leeton, explique qu'une intégration réussie nécessite "beaucoup d'aide et de soutien".

Mingoola, petite ville à la frontière entre les Etats du Queensland et de Nouvelle-Galles du Sud, se prévaut d'être une "success story". La localité qui se mourait à petit feu du fait du vieillissement de la population a accueilli des réfugiés d'Afrique de l'Est issus de régions rurales et qui n'arrivaient pas à s'en sortir à Sydney.

Même chose à Nhill, à quatre heures de route de Melbourne, en pleine renaissance depuis que l'éleveur de canards Luv-a-Duck a persuadé des membres de la minorité Karen de Birmanie de s'y installer. Huit ans après, les affaires sont florissantes et les Karen représentent 10% des 2.000 habitants.

"Ces villes étaient en déclin et aujourd'hui elles prospèrent", souligne Jack Archer, de l'Institut de l'Australie rurale. Il réclame une stratégie nationale sur le sujet au lieu des initiatives isolées actuelles qui font se rencontrer les localités en manque de main-d'oeuvre et les migrants à la recherche d'emploi.

A Griffith, les réfugiés entrepreneurs renforcent le marché du travail. Le restaurant d'Ali emploie un autre réfugié et un migrant de Malaisie.

Ali sert même de pont entre la campagne et la ville. Un couple est venu trois fois de Sydney pour manger chez lui, malgré les six heures de route. "C'est pour la soupe", dit-il. "Ils l'aiment et c'est pour ça qu'ils viennent."

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