De réalisateur prometteur à prisonnier politique, la carrière brisée d'Oleg Sentsov

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Par Anna MALPAS - Moscou (AFP)
Publié le 21 août 2018 - 06:00
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Rassemblement en soutien à Oleg Sentsov en grève de la faim, à Kiev en Ukraine, le 13 juillet 2018
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© Sergei SUPINSKY / AFP/Archives
Rassemblement en soutien à Oleg Sentsov en grève de la faim, à Kiev en Ukraine, le 13 juillet 2018
© Sergei SUPINSKY / AFP/Archives

Oleg Sentsov était un réalisateur ukrainien prometteur jusqu'à ce que son engagement politique lors du soulèvement du Maïdan puis l'annexion de la Crimée ne bouleverse son destin.

En grève de la faim depuis maintenant 100 jours, le cinéaste de 42 ans et militant politique purge une peine de 20 ans de camp dans une prison du Grand nord russe après avoir été reconnu coupable de "terrorisme" il y a trois ans pour des incendies criminels dans sa Crimée natale, annexée par la Russie en 2014.

Malgré plusieurs échanges entre les présidents russe et ukrainien sur un possible échange de prisonniers, malgré l'appel de sa mère à Vladimir Poutine, malgré de nombreuses marques de soutiens dans le monde, sa vie ne tient désormais qu'aux injections de compléments alimentaires de l'administration pénitentiaire russe.

Et ses soutiens commencent à perdre espoir.

- Opposant à Moscou -

De sa carrière de cinéaste, le public retient surtout son film "Gamer", tourné avec seulement 20.000 dollars de budget, qui raconte l'histoire d'un adolescent qui participe à des compétitions de jeux vidéo tout en faisant face à une vie quotidienne difficile dans un village d'Ukraine.

Un film issu de l'expérience personnelle d'Oleg Sentsov qui a consacré huit ans de sa vie aux compétitions de jeux vidéo et financé son film en travaillant en tant que gérant d'une salle de jeux à Simféropol, la capitale de la péninsule ukrainienne de Crimée annexée en 2014 par la Russie.

Tourné dans un style réaliste, "Gamer", montré dans de nombreux festivals européens, est récompensé à Rotterdam en 2012, ce qui permet au cinéaste de se lancer dans le tournage de son deuxième long-métrage.

Mais la préparation de "Rhino" est interrompue quand ce père de deux enfants décide de s'engager dans "Automaïdan", une des branches du mouvement pro-européen qui a conduit à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovitch en février 2014, après plusieurs mois de manifestations populaires.

Le réalisateur milite ensuite contre l'annexion de la Crimée, se souvient Kostiantyn Reoutski, un militant ukrainien l'ayant côtoyé à cette époque.

"Oleg et ses camarades organisaient des rallyes automobiles en Crimée, avec des symboles et des drapeaux ukrainiens. Ils en accrochaient aussi aux murs (...) et ils ont continué de le faire après l'annexion, quand tout le monde était parti", a-t-il raconté à l'AFP en 2015.

"C'est une personne réfléchie, responsable et pleine d'initiative (...) Son but était de montrer que la Crimée n'était pas prorusse à 100%", a-t-il ajouté.

- Force de caractère -

Deux mois après l'annexion, dans la nuit du 10 au 11 mai, le réalisateur est arrêté chez lui, puis incarcéré à Moscou dans la prison de haute sécurité de Lefortovo jusqu'au début de son procès à Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest de la Russie.

Le cinéaste avait alors fait preuve d'une force de caractère, souvent souriant et parfois provocateur, au cours du procès, où il est accusé d'avoir organisé des incendies criminels contre des antennes d'un parti pro-Kremlin et d'avoir planifié d'autres attaques, dont une visant une statue de Lénine à Simféropol, la capitale régionale de la Crimée.

Deux ans après sa condamnation et après plus de trois mois de grève de la faim, Oleg Sentsov, père de deux enfants, n'a rien perdu de sa force morale, refusant à plusieurs reprises d'être transféré dans un hôpital civil de peur de mourir en chemin.

"Ce n'est pas un suicidaire, il veut et espère vivre. Il m'a fait penser à un malade du cancer persuadé qu'il vaincra la tumeur et qu'il vivra", a raconté à l'AFP la journaliste et militante des droits de l'Homme Zoïa Svetova après l'avoir rencontré mi-août dans sa prison du Grand Nord russe.

Dans sa lettre à Vladimir Poutine, sa mère implorait: "Ne détruisez pas sa vie et celle de ses êtres chers. Nous l'attendons à la maison".

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