En Afghanistan, le héros ordinaire qui déminait à mains nues

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Par Mamoon Durrani - Kandahar (Afghanistan) (AFP)
Publié le 09 mars 2018 - 09:43
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Le cercueil de Bahadur Agha, héros ordinaire qui s'acharnait à déminer les routes à mains nues en Afghanistan, avant ses funérailles le 27 décembre 2017 au village de Kariz dans la province du Helmand
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© Mamoon DURRANI / AFP/Archives
Le cercueil de Bahadur Agha, héros ordinaire qui s'acharnait à déminer les routes à mains nues en Afghanistan, avant ses funérailles le 27 décembre 2017 au village de Kariz dans la
© Mamoon DURRANI / AFP/Archives

Blessé six fois, Bahadur attendait sans crainte la suivante. Un septième incident a eu raison du démineur qui nettoyait les routes du Helmand à mains nues.

Bahadur signifie "le brave, le héros" en persan. Sa mort est pourtant passée inaperçue, dans un district isolé de cette province du Sud contrôlée aux trois quarts par les talibans.

Entré dans la police à l'âge de 15 ans, Bahadur Agha, un petit homme bouclé de 31 ans, courait devant les convois pour désamorcer les engins explosifs improvisés (IED) semés sur les routes par les insurgés.

Les mines ont tué plus de 600 civils l'an dernier en Afghanistan, dont plus de 100 dans le seul Helmand, où 147 personnes ont été également blessées, selon les Nations unies.

A Marjah, où les forces afghanes résistent encore, Bahadur a été tué par l'explosion d'une bombe dissimulée sur le bord de la route qu'il tentait de désamorcer.

Selon son beau-frère, Ahmad Shah Zaland, les talibans posent désormais deux bombes: quand une première est désactivée, l'autre explose. "C'est la seconde qui a pris la vie de Bahadur", raconte-t-il à l'AFP.

C'était fin décembre. Le chef tribal Mollah Yaar Gull se souvient seulement que pour l'enterrement "le lendemain, moins de 20 personnes sont venues prier" devant le cercueil recouvert du drapeau afghan, une photo du mort collée sur un côté.

Selon un de ses collègues, Haibatullah, le même type d'engin l'avait déjà blessé à deux reprises. "C'était un homme brave et courageux. Quand c'était compliqué, c'est toujours Bahadur qui s'en chargeait", affirme-t-il.

- A genoux -

"Le gouvernement ne se soucie pas de nos vies", ajoute-t-il. "Trois de mes cousins sont dans le génie: un est mort, deux sont blessés, toujours hospitalisés. Personne ne s'en occupe."

La même indifférence accueille la mort des soldats et policiers, tués par milliers, au point que ni les autorités locales ni les Américains ne publient plus de statistiques.

Le commandant du "secteur 505", où opérait Bahadur, Ghulam Dawood Tarakhail, se souvient "d'un brave officier patriote. Il a désamorcé des centaines de bombes en bord de route et de mines".

D'ailleurs, "trois semaines avant sa mort, il avait été décoré".

A genoux, Bahadur déblayait à mains nues les débris dissimulant l'engin. Ni casque ni lunettes de protection, pas de tablier renforcé comme en portent d'ordinaire les démineurs.

Bravant le danger, Bahadur semblait même le rechercher après avoir perdu sept membres de sa famille tués par les talibans - parents, frères et sœurs -, expliquait-il en octobre 2016 au documentariste américain Ben Anderson qui, par deux fois, l'avait rencontré ("Taliban Resurgence", Vice pour HBO - disponible sur YouTube).

"Ma famille (est) finie", confiait-il.

La rage lui donnait la force du désespoir. "J'ai été blessé six fois, peut-être que la septième sera la dernière", ajoutait-il en riant face caméra.

- 'Tuer des talibans' -

A leur première rencontre, en 2015, "il m'a montré ses cicatrices, six balles dont l'une a pénétré son front sans toucher son cerveau", se souvient Ben Anderson, joint par l'AFP. Très peiné, il a été le premier à annoncer sur Twitter la mort du héros ordinaire.

"Je lui avais dit qu'il avait de la chance d'avoir survécu à six balles et que j'espérais qu'il n'y en aurait pas de septième. Il s'est moqué: il était clairement convaincu qu'elle finirait par arriver", remarque-t-il.

De retour dans le Helmand fin 2016, le documentariste tombe de nouveau sur Bahadur: "il y avait sept IED sur notre route. Avec un bambou muni d'un crochet, il essayait de tirer l'engin sur le côté".

Puis "il a continué avec les mains, à genoux. On nous tirait dessus mais il n'y prêtait aucune attention. Vivre ou mourir ne lui importait plus. Tout ce qu'il voulait c'est tuer des talibans".

Dans le film, Bahadur traverse l'écran en hurlant: "Je vais b... la mère des talibans, je vais b... les sœurs des talibans!".

Pour Ben Anderson, cet homme "profondément traumatisé" aurait dû être mis au repos et soigné. "Mais il aurait probablement refusé".

Bahadur laisse une épouse et un bébé de quelques mois. "Son vœu le plus cher était de voir son fils marcher", raconte Shah Zaland. Il disait: "les mines ne peuvent pas m'avoir, c'est moi qui les ai".

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