En Bolivie, les canines de jaguars font saliver les Chinois

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Par José Arturo Cárdenas - La Paz (AFP)
Publié le 06 avril 2018 - 11:21
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Photo prise le 4 octobre 2014 et fournie le 28 mars 2018 par le Département bolivien de la biodiversité et des zones protégées montre des canines de jaguars
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© HO / Département bolivier de la biodiversité et des zones protégées/AFP
Photo prise le 4 octobre 2014 et fournie le 28 mars 2018 par la Direction bolivienne de la biodiversité et des zones protégées montre des canines de jaguars
© HO / Département bolivier de la biodiversité et des zones protégées/AFP

C'est un trafic en plein boom en Bolivie: le juteux commerce des canines de jaguars, prisées en Chine comme bijoux ou pour leurs prétendues vertus aphrodisiaques, menace la survie de ce félin, de plus en plus chassé.

En 2014, les autorités locales ont commencé à être informées d'échanges de dents de cet animal "contre de l'argent", dans le département de Beni (nord-est), raconte à l'AFP Rodrigo Herrera, chargé des questions de biodiversité au sein du ministère de l'Environnement.

De nombreux experts soupçonnent la présence accrue de Chinois dans le pays sud-américain d'avoir stimulé ce trafic.

En effet, ces dernières années, le gouvernement d'Evo Morales a attribué à tour de bras des chantiers publics à des groupes chinois, pour un montant total de sept milliards de dollars... suscitant un afflux de travailleurs du géant asiatique.

Selon M. Herrera, chaque canine, qui mesure entre 8 et 10 centimètres, se monnaye 500 à 700 bolivianos (70-100 dollars) mais peut atteindre 5.000 dollars sur le marché chinois.

Même le crâne du félin suscite la convoitise, à des tarifs allant jusqu'à 10.000 dollars. Les trafiquants vendent aussi leur peau, voire leur sexe quand il s'agit d'un mâle.

Comme l'explique Rodrigo Herrera, "de chaque animal, une personne pauvre (généralement un paysan, ndlr) peut tirer jusqu'à 2.000 dollars, c'est beaucoup d'argent" dans un pays où 38,6% de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2015, selon les chiffres de la Banque mondiale.

Jusqu'à présent, la police bolivienne a intercepté plus de 400 dents de jaguar sur le point de partir par courrier vers des adresses en Chine.

Mais Fabiola Suarez, spécialiste du département de biodiversité du ministère de l'Environnement, souligne que la quantité ayant sûrement déjà quitté le pays est "alarmante".

- Appel de l'ambassade -

La justice a lancé 15 procédures légales, dont 11 contre des citoyens chinois vivant en Bolivie, selon les données officielles.

Le 19 mars, un trafiquant qui proposait canines et crânes de jaguar sur les réseaux sociaux a été arrêté dans une région amazonienne.

La gravité de la situation a obligé l'ambassade chinoise à s'en mêler: dans une circulaire, elle a appelé les "citoyens chinois qui vivent en Bolivie à respecter et observer strictement les lois et règlements, tant chinois que boliviens, contre le trafic illégal d'animaux sauvages".

Selon l'Institut national des statistiques (INE), de plus en plus de Chinois viennent vivre en Bolivie: en 2011, ils n'étaient que 2.624 à être entrés dans le pays. Le chiffre a bondi à 12.861 en 2016.

Pour Rodrigo Herrera, cette présence croissante "a créé un marché" et ceux déjà installés "ont découvert ce marché et les offres ont explosé", de même que la chasse de ce félin, classé "presque en danger" sur la liste des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).

Certains Chinois attribuent des vertus aphrodisiaques à ses canines, également portées comme bijoux en signe de statut social.

Les citoyens étrangers "n'ont pas idée des dégâts qu'ils causent", juge Patricia Molina, directrice de l'ONG Forum bolivien sur l'environnement et le développement, s'inquiétant de la "menace très forte" pesant sur le jaguar, aussi tué par les éleveurs locaux pour protéger leurs bêtes et agressé par la déforestation.

Les autorités estiment qu'il reste environ 7.000 jaguars en Bolivie, sur une population mondiale évaluée à 64.000 par l'université nationale autonome du Mexique.

"Si l'on ne met pas en place certains contrôles, cela peut déboucher sur un problème grave" pour leur survie, avertit Fabiola Suarez.

L'animal au pelage moucheté n'est pas le seul à payer le prix d'une telle frénésie: des scientifiques du monde entier, réunis récemment à Medellin (Colombie) pour une conférence sur la biodiversité, ont alerté de ce danger.

Des griffes de paresseux aux branchies de raies manta, en passant par les embryons de macaque, de nombreuses espèces sont en effet tuées pour concocter des remèdes ancestraux prescrits par des médecines traditionnelles d'Asie ou d'Afrique.... quand il ne s'agit pas tout simplement de prétendus médicaments miracles inventés par des charlatans, soulignent les experts.

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