En Colombie, des malades chez le juge avant le médecin

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Par Diego LEGRAND - Bogota (AFP)
Publié le 23 mai 2018 - 13:17
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Un homme attend d'être reçu par un médecin dans un hôpital de Bogota, le 21 mai 2018 en Colombie
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© Raul ARBOLEDA / AFP
Un homme attend d'être reçu par un médecin dans un hôpital de Bogota, le 21 mai 2018 en Colombie
© Raul ARBOLEDA / AFP

John Salamanca souffre d'une leucémie et pour ne pas mourir, il a dû saisir un juge afin d'avoir accès à un médecin, une procédure courante pour des milliers de patients en Colombie.

Reconnue internationalement pour sa couverture de 94% de la population, la santé publique est toutefois au coeur des préoccupations des Colombiens avant l'élection présidentielle, dont le premier tour a lieu dimanche.

Ni la corruption, ni le trafic de drogue et encore moins l'avenir de l'accord de paix avec l'ex-guérilla Farc préoccupent autant les électeurs que la santé, selon un sondage Invamer-Gallup.

John Salamanca, qui de surcroît se déplace en chaise roulante depuis un accident dans une mine d'émeraude, incarne cette insatisfaction collective: sans l'aide du juge, "je crois que je serais mort", a expliqué à l'AFP cet homme de 38 ans.

Il a dû recourir à un référé pour continuer son traitement, l'institut de cancérologie tardant à le prendre en charge. Puis les soins ont été à nouveau suspendus lorsque sa caisse d'assurance maladie a rompu son accord avec la clinique.

Une fois de plus, M. Salamanca a dû toquer à la porte de la justice. "Il me faut toujours me battre pour survivre et bénéficier d'une attention digne", déplore-t-il dans la minuscule chambre qu'il loue dans un quartier populaire du sud de Bogota.

- La santé, un droit? -

Pour ce vendeur ambulant, une journée passée en procédures est une journée de travail perdue.

Ces déboires sont le lot de milliers de malades en attente de traitement, a fortiori dans le cas d'affections de longue durée.

En moyenne, 157.000 référés sont présentés à la justice chaque année, selon les dernières statistiques du Défenseur du peuple, organisme public de protection des droits. Le service de supervision du secteur reçoit 1.300 plaintes par jour.

En dépit de réformes qui ont amélioré l'accès aux traitements, le système reste "excessivement judiciarisé", admet le ministre de la Santé, Alejandro Gaviria.

Souffrant d'un lymphome, M. Gaviria a gagné son bras de fer contre de puissants laboratoires pharmaceutiques qui voulaient bloquer l'entrée en Colombie de médicaments génériques, ce qui a permis d'abaisser les dépenses de santé.

En 1993, le pays a adopté un modèle semi-public et solidaire. Cela a étendu la couverture à un coût relativement bas pour les usagers, qui y dédient en moyenne 15% de leurs dépenses.

Avant, seulement 23,5% des 49 millions de Colombiens étaient couverts. La santé était considérée comme un privilège. Désormais, les plus riches financent les plus pauvres.

La Colombie investit 7,2% de son PIB dans la santé et la protection sociale, contre 4% en moyenne en Amérique Latine.

Alors quel est le problème?

Les caisses d'assurance maladie, intermédiaires entre usagers et hôpitaux, accusent de lourdes pertes, selon Jaime Arias, président de l'Association colombienne des entreprises de médecine intégrale, qui regroupe ces organismes privés.

- Pertes et corruption -

Et la justice est pointée du doigt: une sentence de 2005 a obligé les assurances à financer les procédures médicales coûteuses à hauteur de 75% des dépenses.

Les pertes avoisinent aujourd'hui les 2,8 milliards de dollars, selon M. Arias.

Outre des comptes dans le rouge, le secteur est gangréné par la corruption, admet-il, de concert avec le ministre de la Santé.

Ainsi sont apparus des "cartels" du Sida et de l'hémophilie: des caisses s'entendent avec des hôpitaux et de faux patients pour facturer des traitements inexistants.

Maria del Rosario Charris a quitté Barranquilla, sur la côte caraïbe, en espérant se faire mieux soigner à Bogota. Elle a un cancer de l'utérus, qui s'est métastasé à quatre autres organes. Mais sa caisse d'assurance a cessé de la prendre en charge.

"Je crois qu'ils attendent que je meure pour autoriser les soins", confie fataliste cette femme de 62 ans, qui a placé ses espoirs dans la décision d'un juge.

Les caisses retardent "la prestation de service via des procédures inutiles" et ainsi gagnent un temps précieux pour la santé de leurs finances. Mais cela amène les patients à "judiciariser un droit acquis", dénonce Nury Villalba, directrice de l'ONG Esperanza Viva (Espérance vive) qui défend les malades.

En théorie, un référé doit donner lieu à décision dans les dix jours.

Dimanche, les Colombiens éliront aussi un remède pour la santé: liquider les caisses comme le préconise le candidat de gauche Gustavo Petro, ou augmenter les contrôles et limiter les prises en charge, comme y prétend son adversaire de droite, Ivan Duque. Tous deux sont en tête des sondages pour parvenir au second tour le 17 juin.

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