En Syrie, une nouvelle loi fait craindre des expropriations arbitraires

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Par Maya GEBEILY - Beyrouth (AFP)
Publié le 04 mai 2018 - 15:50
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Un camp de réfugiés syriens dans la banlieue de la ville de Zahlé dans la région de la Békaa, dans l'est du Liban, le 26 janvier 2018
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© JOSEPH EID / AFP/Archives
Un camp de réfugiés syriens dans la banlieue de la ville de Zahlé dans la région de la Békaa, dans l'est du Liban, le 26 janvier 2018
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Menacées d'expropriation en Syrie, des millions de personnes déplacées par la guerre risquent de ne jamais pouvoir retrouver leurs maisons et terres, avertissent ONG et spécialistes après l'adoption par le régime d'une nouvelle loi sur le développement urbain.

Le décret numéro 10 -ou la loi sur le renouveau urbain- permet au gouvernement de Bachar al-Assad de saisir les propriétés privées pour construire d'ambitieux projets immobiliers. En contrepartie, les propriétaires sont compensés en recevant des actions dans ces projets.

Mais dans une Syrie déchirée depuis 2011 par une guerre dévastatrice qui a jeté des millions de Syriens sur la route de l'exil, les experts craignent des abus.

"La principale préoccupation des gens qui pourraient être affectés par cette loi, c'est qu'ils ne savent vraiment pas s'ils peuvent rentrer", assure Sara Kayyali, chercheuse sur la Syrie pour l'ONG Human Rights Watch (HRW).

Selon la loi, entrée en vigueur en avril, toute propriété se trouvant sur l'emplacement d'un nouveau projet immobilier est perdue et le propriétaire doit lancer une procédure complexe, dans des délais très courts, pour réclamer ses actions.

Un parcours du combattant pour les cinq millions de Syriens qui se sont réfugiés dans d'autres pays, ou les six millions de déplacés internes ayant fui leurs maisons. Ils risquent de ne pas avoir la paperasse nécessaire, de connaître des difficultés financières, ou d'être dans l'incapacité de respecter les délais impartis.

"Vu l'ampleur des déplacements et la perte des documents personnels, la loi ne donne pas aux gens suffisamment de temps pour réclamer leurs droits", déplore Mme Kayyali, qui dénonce "d'importants obstacles financiers et bureaucratiques".

- Documents perdus -

Dans un pays où des villes entières ont été rasées par les bombardements, la loi ne fait même pas mention des déplacés.

"La question est traitée comme si rien n'était jamais arrivé, et que tout le monde était en Syrie, capable de déléguer un avocat, ou de venir revendiquer un droit de propriété", déplore Diana Semaan, chercheuse auprès d'Amnesty International.

Selon la loi, une fois qu'une zone de développement a été définie, les autorités ont un mois pour notifier les propriétaires, par le biais d'une annonce publique.

Ceux dont les titres de propriété sont enregistrés auprès des autorités reçoivent automatiquement des actions. Mais quand ce n'est pas le cas, le citoyen a trente jours pour prouver qu'il est propriétaire.

C'est là tout le noeud du problème: même avant la guerre, une "proportion significative" de la population n'enregistrait pas les titres de propriété, selon un rapport publié en 2016 par une ONG, le Conseil norvégien des réfugiés (NRC).

Et les Syriens en règle ne sont pas à l'abri des tracasseries. Les administrations publiques où se trouvaient les documents officiels n'ont parfois pas survécu aux violences.

"La perte de ces documents peut permettre l'occupation ou le transfert des propriétés à d'autres individus ou entités commerciales", met en garde le NRC.

- "Maintenant, c'est fini"! -

Quant à ceux qui fuient la guerre dans la précipitation, ils n'ont pas nécessairement eu en tête d'emporter un titre de propriété, des factures, voire même leur carte d'identité.

En Jordanie, seul 20% des réfugiés interrogés par le NRC ont indiqué avoir en leur possession ces documents.

Dans le nord-ouest de la Syrie, ils sont moins de 40% parmi les déplacés chassés par l'offensive du régime dans la Ghouta orientale et interrogés par une organisation de la société civile syrienne.

Mme Semaan estime que la valeur des actions offertes en compensation risque d'être "bien plus faible" que celle du terrain saisi, dénonçant une évaluation des biens qui n'est parfois pas "équitable".

Une loi passée en 2012 permet déjà au gouvernement d'exproprier toute personne accusée de "terrorisme", la terminologie habituellement utilisée par le régime pour qualifier les dissidents.

Et selon l'avocat syrien Hussein Bakri, avec le décret numéro 10, les habitants des zones gouvernementales vont craindre des arrestations s'ils entament les procédures au profit de proches absents, qui peuvent être qualifiés, parfois arbitrairement, d'opposants.

La nouvelle loi "va inévitablement faire que les propriétaires vont perdre leurs droits et être expropriés, au profit des partisans du régime", dit-il.

Dans un pays à l'économie ravagée par la guerre, la terre est une ressource inestimable pour le régime, estime Jihad Yazigi, directeur de l'hebdomadaire en ligne Syria Report.

"Que peut-il faire d'autre? Les industries? l'agriculture? les banques? Non. La terre a de nombreux avantages", explique-t-il.

Il ne se fait pas d'illusions sur le sort des propriétaires exilés. "S'ils avaient encore un peu d'espoir de revenir, maintenant c'est fini"!

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