Juger les jihadistes en Irak, une option pour ne pas les rapatrier de Syrie

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Par Ali CHOUKEIR, Sarah BENHAIDA - Bagdad (AFP)
Publié le 10 février 2019 - 10:46
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Des détenus dans une prison de Bagdad, la capitale irakienne, dont un jihadiste belge connu sous le nom d'Abou Hamza al-Belgiki (D), le 10 mai 2018
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© Ammar Karim / AFP/Archives
Des détenus dans une prison de Bagdad, la capitale irakienne, dont un jihadiste belge connu sous le nom d'Abou Hamza al-Belgiki (D), le 10 mai 2018
© Ammar Karim / AFP/Archives

Pour éviter des rapatriements et en raison de l'impossibilité de les juger en Syrie, les jihadistes étrangers, notamment français, pourraient comparaître devant la justice en Irak, s'inquiètent familles et défenseurs des droits humains.

Ce pays voisin a déjà lourdement condamné des centaines d'étrangers du groupe Etat islamique (EI), dont certains venus de Syrie, pays en guerre où l'organisation ultra-radicale est en passe d'être totalement vaincue, selon la coalition internationale qui combat l'EI depuis 2014. L'Irak s'est lui déjà déclaré "vainqueur" de l'EI en 2017.

Selon des sources françaises, une soixantaine de jihadistes adultes français sont à ce jour détenus par les forces kurdes en Syrie.

En août, l'AFP a assisté au procès de Lahcène Gueboudj, un Français de 58 ans qui avait assuré à ses juges irakiens avoir été capturé par des rebelles syriens avant d'être transféré par des soldats américains aux autorités irakiennes.

Si ce scénario se reproduisait pour les Français aux mains des Kurdes syriens, "ce serait dramatique", estime Véronique Roy, membre du Collectif familles unies qui regroupe 70 familles françaises dont des proches ont rejoint un territoire tenu par l'EI.

Car, une fois en Irak, ils "risquent d'être torturés et jugés de façon inéquitable", affirme à l'AFP Belkis Wille, de Human Rights Watch (HRW).

Pourtant, ajoute-t-elle, "dans cinq cas au moins", il semblerait que les forces américaines ont déjà remis des détenus étrangers aux services de contre-terrorisme irakiens.

Outre M. Gueboudj, elles ont escorté de la zone kurde de Syrie en Irak un Australien et un Libanais jugé et condamné à mort.

- "Dans la nature" -

Devant des tribunaux de leurs pays, des avocats auraient pu plaider que ces transferts s'apparentaient à des enlèvements. En laissant l'Irak les juger, les pays d'origine seraient assurés que ce point de procédure ne sera pas soulevé, selon des observateurs.

En outre, les précédents procès en Irak de jihadistes étrangers semblent indiquer que les tribunaux de ce pays ont fait le choix de la sévérité.

En tout, selon des sources judiciaires irakiennes, plus de 300 personnes --dont une centaine d'étrangères-- y ont été condamnées à mort et autant à la perpétuité pour avoir rejoint l'EI.

Des procès en Syrie voisine sont impossibles. Les Etats-Unis, décidés à se retirer de Syrie, poussent avec leurs alliés kurdes syriens les pays d'origine à rapatrier leurs ressortissants prisonniers.

La France, frappée ces dernières années par des attentats revendiqués par l'EI et parfois planifiés depuis la Syrie, était jusqu'ici opposée à leur retour. Mais, avec le départ annoncé des Américains, elle dit désormais examiner "toutes les options", dont le rapatriement.

Il faut "éviter qu'un certain nombre de jihadistes se retrouvent dans la nature et se dispersent", a plaidé cette semaine à Bagdad la ministre française des Armées Florence Parly.

Mais pour certains proches de victimes d'attaques jihadistes en France, le rapatriement est inenvisageable.

Albert Chennouf-Meyer, père d'une des sept victimes du jihadiste Mohamed Merah tuées dans le sud-ouest de la France en 2012, l'a dénoncé comme une "décision criminelle".

Il a interpellé samedi le président français Emmanuel Macron, lui demandant de "refuser (le) retour" de Français ayant rejoint l'EI.

Avec l'option irakienne, toutes les parties pourraient trouver leur compte, assurent des sources irakiennes, alors que les autorités politiques et judiciaires irakiennes sont muettes.

- "Dans le secret" -

Tout a été négocié "au plus haut niveau et dans le secret", affirme le spécialiste des mouvements jihadistes Hicham al-Hachémi qui évoque un accord donnant satisfaction aux deux parties.

D'un côté, les pays d'origine n'ont pas à gérer des retours qui suscitent l'hostilité de leurs opinions publiques. De l'autre, l'Irak recevrait de ces pays "des armes ultra-modernes et d'importants équipements militaires", dit à l'AFP ce fin connaisseur des rouages politiques et sécuritaires irakiens.

Mais "comment justifier de la compétence des tribunaux irakiens" pour des faits commis depuis le territoire syrien?, s'interroge l'avocat français Vincent Brengarth, en charge des dossiers de Français en Syrie, comme la jihadiste présumée Margaux Dubreuil.

En vertu de la loi antiterroriste en Irak, quiconque ayant rejoint un "groupe terroriste", qu'il ait combattu ou non, risque la peine de mort.

C'est sur ce point que peuvent s'appuyer les juges irakiens, assure M. Hachémi: "l'Irak jugera tous ceux qui sont passés par son territoire, même s'ils n'y ont pas combattu et l'ont seulement traversé pour rejoindre la Syrie". Et cela pourrait concerner des centaines d'étrangers, poursuit-il.

Plusieurs Occidentaux ont déjà été condamnés à la peine capitale en Irak mais pas les trois Français jugés jusqu'ici: comme M. Gueboudj, Mélina Boughedir, 28 ans, et Djamila Boutoutaou, 29 ans, ont écopé de la perpétuité, équivalente à 20 ans de prison en Irak.

Néanmoins, plaide Mme Roy, "on recule le problème mais on ne le règle pas. La France n'a pas à sous-traiter".

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