L'armée au centre de la sécurité à Rio, pour quoi faire ?

Auteur:
 
Par Louis GENOT - Rio de Janeiro (AFP)
Publié le 20 février 2018 - 09:17
Image
Le président du Brésil, Michel Temer, lors de la signature le 16 février 2018 à Brasilia du décret confiant à l'armée la responsabilité de la sécurité de Rio de Janeiro, frappée par une flambée de vio
Crédits
© Sergio LIMA / AFP
Le président du Brésil, Michel Temer, lors de la signature le 16 février 2018 à Brasilia du décret confiant à l'armée la responsabilité de la sécurité de Rio de Janeiro, frappée pa
© Sergio LIMA / AFP

La décision du président brésilien Michel Temer de confier à l'armée le commandement des forces de sécurité de Rio de Janeiro a suscité de nombreuses interrogations sur les conséquences sur le terrain d'une mesure considérée par ses détracteurs comme un effet d'annonce politique.

En outre, ce décret, dont les contours restent à définir, provoque des inquiétudes sur les risques de dérapage sécuritaire, dans un pays sorti seulement il y une trentaine d'années d'une dictature militaire.

Le décret pris vendredi a été qualifié par le chef de l'Etat lui-même de "mesure extrême" visant à endiguer l'escalade de la violence.

Mais de nombreux critiques considèrent que ces politiques sécuritaires ne peuvent se substituer aux programmes sociaux.

"Sans une éducation de qualité, nous n'arriverons nulle part. Rien n'est fait pour aider les jeunes des quartiers pauvres à s'insérer dans le marché du travail", déplore Marcos Valério Alves, qui coordonne les associations de quartier du Complexo do Alemao, un des ensembles de favelas les plus dangereux de Rio.

"Les enfants ne vont à l'école que le matin ou l'après-midi et le reste du temps ils sont dans la rue et voient d'autres jeunes qui se promènent dans le quartier avec des fusils d'assaut. Que peuvent-ils espérer pour leur avenir ?", ajoute-t-il, critiquant un "manque de volontarisme politique".

- 'Projet politique' -

Pour la sociologue Julita Lemgruber, du Centre de recherches sur la sécurité et la citoyenneté (Cesec) de l'Université Candido Mendes, le décret a été pris "pour servir un projet politique de Temer".

Le chef de l'Etat est notamment accusé de détourner l'attention alors qu'il est englué dans des scandales de corruption et se montre incapable de faire adopter la réforme des retraites réclamée par les marchés.

Certains lui prêtent même l'intention de se présenter à la présidentielle d'octobre, même si l'intéressé s'en est toujours défendu.

"Sa popularité est au plus bas et il tente d'inverser cette courbe pour voir s'il aura les moyens d'être candidat à sa propre succession", explique Mme Lemgruber, rappelant que le décret expire à la fin de son mandat, le 31 décembre 2018.

L'intervention de l'armée étant délimitée dans le temps, la sociologue pense que même si une meilleure coordination des forces de l'ordre peut permettre de lutter plus efficacement contre la criminalité à court terme, la population ne peut pas espérer de solution miracle pour le long terme.

- Les favelas 'en première ligne' -

Dans les favelas, quartiers pauvres où se concentre l'essentiel de la violence, les inquiétudes dépassent largement le cadre politique.

Les habitants vivent au rythme des fusillades quotidiennes, entre guerre des gangs de trafiquants de drogue et incursions policières musclées, de nombreux membres des forces de l'ordre étant aussi accusés de tremper dans le crime organisé.

"Les gens ont de plus en plus peur. Le décret n'est peut-être qu'une manoeuvre politique, mais ce sont eux qui sont en première ligne en cas d'abus des force de l'ordre", alerte Anderson França, auteur de l'ouvrage "Rio en flammes" et de chroniques sur le quotidien des favelas sur Facebook.

"Les interventions militaires dans la sécurité de Rio ont toujours été violentes, agressives et répressives. Je ne crois pas que l'armée soit là pour promouvoir le dialogue", affirme-t-il, s'inquiétant aussi des possibilité d'impunité en cas de bavures.

"L'armée ne rend de comptes à personne et les soldats ne peuvent être traduits que devant des tribunaux militaires, ce qui affaiblit les associations qui ont l'habitude de dénoncer les abus policiers devant le parquet", conclut Anderson França.

Des inquiétudes avivées par des déclarations du ministre de la Défense Raul Jungmann, qui a laissé entendre lundi que les autorités pourraient, pour rechercher un suspect, émettre des "mandats d'arrêts collectifs", qui étendraient les perquisitions à tout un quartier et non pas seulement à un seul domicile.

Les critiques ont même fusé du côté de la Cour suprême. Dans un entretien au journal Estado de Sao Paulo, le juge Marco Aurelio Mello a émis de "sérieux doutes" sur la capacité du décret de Temer à résoudre les problèmes de corruption dans la police et la guerre entre gangs de narcotrafiquants.

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.