Le douloureux retour des Libyens de Taouarga après sept ans d'exil

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Par Jihad Dorgham - Taouarga (Libye) (AFP)
Publié le 22 novembre 2018 - 13:14
Mis à jour le 23 novembre 2018 - 16:14
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De retour dans sa ville de Taouarga (ouest libyen) après des années d'exil, Mahmoud Abou al-Habel (D) constate les dégâts causés par la guerre sur ses palmiers incendiés, le 9 novembre 2018
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© Mahmud TURKIA / AFP
De retour dans sa ville de Taouarga (ouest libyen) après des années d'exil, Mahmoud Abou al-Habel (D) constate les dégâts causés par la guerre sur ses palmiers incendiés, le 9 nove
© Mahmud TURKIA / AFP

Devant ses palmiers calcinés, Mahmoud Abou al-Habel est partagé entre la joie de rentrer chez lui et la désolation de voir l'état délabré de sa maison et sa ferme, sept ans après avoir été contraint de quitter sa ville, Taouarga.

Comme les 40.000 habitants de cette localité de l'ouest libyen, le septuagénaire a été chassé de chez lui avec 26 membres de sa famille au lendemain de la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, qu'ils étaient accusés d'avoir soutenu jusqu'au bout.

Ils ont alors été contraints de s'installer dans des camps de fortune en périphérie de la capitale libyenne Tripoli, à 260 kilomètres de là, ou de se réfugier dans d'autres régions du pays, avec l'interdiction de rentrer chez eux.

Ce sont les groupes armés de la ville rivale de Misrata, connue pour avoir été le fer de lance de la révolution contre l'ex-dictateur et située à 40 km, qui ont forcé la population de Taouarga à s'exiler loin de chez elle, en signe de vengeance.

Comme des centaines d'autres habitants, Mahmoud Abou al-Habel est rentré chez lui il y a quatre mois à la faveur d'un accord de réconciliation conclu avec Misrata.

Mais il peine toujours à ranimer ses dattiers, dont nombreux ont été incendiés, tout comme sa maison et celles de ses deux fils. La carcasse de sa voiture gisant près de la maison témoigne encore des combats.

- "Crève-coeur" -

M. Abou al-Habel démarre son petit groupe électrogène, et puise de l'eau pour arroser ce qui peut encore être sauvé.

"Je suis revenu dans ma ferme de 3,5 hectares. J'y avais planté 184 dattiers mais la plupart ont brûlé, comme mes 150 grenadiers et 28 oliviers", raconte-t-il à l'AFP.

"C'est un crève-coeur de les voir ainsi car je les avais plantés moi-même", soupire-t-il.

Pour lui, le conflit avec Misrata "est le dossier le plus compliqué en Libye et il devrait servir d'exemple à tous les Libyens".

Depuis 2011, la vie s'est arrêtée à Taouarga, ville fantôme aux ruelles jonchées de débris dans lesquelles errent des animaux à l'abandon. Toutes les habitations ont été soit incendiées soit complètement détruites.

Mais, petit à petit, la vie reprend son cours. Cinq familles ayant perdu leurs maisons ont choisi de rester en ville, trouvant refuge dans l'une des rares écoles épargnées par les combats.

Parmi elles, vit Salma Khalil, qui subvient seule aux besoins de ses enfants en tissant des feuilles de palmiers pour fabriquer des paniers et d'autres objets.

"J'ai dû apprendre ce métier à cause du manque de moyens", explique cette veuve, qui cuit son pain dans un four en terre cuite, qu'elle a construit dans un coin de l'école.

"Je dois faire vivre mes filles, orphelines de père, alors je fais du pain pour nous et le reste, je le vends", dit-elle. Mme Khalil espère qu'un jour les classes reprennent. Elle rêve aussi qu'une clinique soit construite à Taouarga: l'hôpital de campagne reste trop loin pour les habitants, qui n'ont pour la plupart aucun moyen de transport.

- "Retour timide" -

Les bâtiments officiels ayant été sévèrement endommagés ou totalement détruits, le Conseil municipal s'est temporairement installé dans une école pour recevoir les habitants et recueillir leurs doléances, en attendant que la ville soit reconstruite.

Le maire, Abdelrahman Chakchak, dit rester positif: "Nous sommes enfin chez nous et la vie revient progressivement: l'électricité est rétablie, nous avons une école et un hôpital de campagne", souligne-t-il.

Selon l'accord de réconciliation entre Misrata et Taouarga, signé sous l'égide du Gouvernement d'union nationale (GNA), ce dernier s'engage à verser des indemnisations aux déplacés.

Cinq bureaux recensent ainsi les éventuels bénéficiaires et évaluent les dégâts, et les habitants peuvent déjà commencer à réparer leurs maisons, affirme M. Chakchak.

Mais pour Amal Barka, présidente de l'ONG La famille productrice, "le gouvernement n'a pas tenu les promesses faites aux habitants de Taouarga".

La ville a besoin d'un "financement important pour être reconstruite, mais également du soutien de la communauté internationale qui a promis d'y contribuer", indique de son côté à l'AFP le ministre aux Déplacés et réfugiés du GNA, Youssef Jalalah.

"Taouarga doit être reconstruite car le retour des habitants est encore timide. Mais ils reviennent", se félicite-t-il.

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