Le "traître" Emmanuel Kant déchaîne les passions dans sa ville natale en Russie

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Par Maria ANTONOVA - Moscou (AFP)
Publié le 04 décembre 2018 - 18:33
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Photo d'archives du tombeau du philosophe Emmanuel Kant à Kaliningrad
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© STRINGER / AFP/Archives
Photo d'archives du tombeau du philosophe Emmanuel Kant à Kaliningrad
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Le philosophe Emmanuel Kant est au cœur d'une étrange polémique dans sa ville natale de Kaliningrad, où il a été accusé sans raison évidente de "russophobie" alors qu'il dominait un sondage en ligne destiné à choisir le nom de l'aéroport de la ville.

Le philosophe né en 1724 a passé la majeure partie de sa vie dans la ville prussienne de Königsberg, renommée Kaliningrad après son occupation par l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Kaliningrad est aujourd'hui la principale ville d'une enclave russe qui porte son nom, entre la Pologne et la Lituanie.

Jusqu'à récemment, un sondage en ligne plaçait le philosophe en tête des noms susceptibles d'être choisis pour baptiser l'aéroport de la ville, rénové pour le Mondial-2018.

Mais cela a provoqué la colère de responsables locaux qui ont accusé le philosophe de "russophobie" malgré l'absence de tout élément historique témoignant d'un quelconque ressentiment envers l'Empire russe.

Dans une vidéo publiée lundi et devenue virale, un homme identifié par les médias locaux comme le vice-amiral Igor Moukhametchine, chef d'état-major de la flotte russe de la Baltique, appelle dans un discours les militaires à voter contre Emmanuel Kant, l'accusant d'avoir "trahi sa patrie" mais semblant surtout reprocher au philosophe d'être allemand.

"Il s'est humilié pour obtenir un département à l'université, afin qu'il puisse enseigner et écrire des livres étranges que personne présent ici n'a lu", éructe le militaire.

Le philosophe, figure centrale de la pensée occidentale, a ensuite dégringolé dans le sondage, clos le 1er décembre: c'est l'impératrice Elisabeth Petrovna, dont l'armée a brièvement capturé la ville en 1758 avant de l'abandonner cinq ans plus tard, qui l'a emporté.

Pendant cette brève période de règne russe, Emmanuel Kant a demandé à l'impératrice de le laisser enseigner à l'université locale, mais sa lettre n'a jamais été délivrée.

- "Les gens sont passionnés" -

Interrogé au sujet de la vidéo du vice-amiral Moukhametchine, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a indiqué mardi ne pas l'avoir regardé, ajoutant que ce débat montre que "les gens sont passionnés" par le programme russe appelant les citoyens à choisir un nom pour chaque grand aéroport du pays.

Ce programme, qui concerne plusieurs dizaines d'aéroports à travers la Russie via un sondage en ligne où plusieurs noms de personnalités étaient proposés, a provoqué plusieurs polémiques dans le pays.

Dans une tribune publiée sur un site internet pro-Kremlin nommé Vzgliad, un député de Kaliningrad, Andreï Kolesnik, a lui aussi estimé que le philosophe est "russophobe" et assuré qu'il serait non patriote de "germaniser" l'aéroport. "L'auteur de "Critique de la Raison Pure" ne peut pas être un grand symbole d'une région russe", a-t-il déclaré.

Signe de la tension autour du choix de ce nom, trois lieux liés à l'illustre philosophe allemand ont été vandalisés par des jets de peinture: sa tombe, un monument en mémoire du philosophe et une plaque commémorant le lieu où se trouvait autrefois sa maison. "Le nom de l'Allemand Kant ne ternira pas notre aéroport", pouvait-on lire sur des tracts déposés autour du monument.

"Pour les habitants de Kaliningrad, pour les gens qui réfléchissent, Kant n'est citoyen d'aucun pays, il est un individu de portée planétaire", a déclaré à l'AFP Vladimir Silinevitch, le porte-parole de la cathédrale de Kaliningrad, qui abrite la tombe du philosophe.

A la tête du département de philosophie de l'Université Emmanuel-Kant de Kaliningrad, Vadim Tchaly a pour sa part déclaré à l'AFP que si les russes s'opposant à Kant avaient lu ses oeuvres, ils découvriraient que ces valeurs sont "les valeurs normales de n'importe quelle société, y compris la russe".

"Kant est une figure vaguement rejetée par une partie de la société russe qui n'a pas encore déterminé qu'elles étaient ses propres idées, sans parler de celles de Kant", a-t-il ajouté.

Un étudiant de l'université locale a même été interrogé par la police après avoir proposé sur Internet d'organiser une manifestation en soutien au philosophe. Interrogé par l'AFP, il a dit n'avoir jamais reçu l'autorisation malgré plusieurs demandes.

La controverse a éclaté à cause d'une "aversion pour tout ce qui est allemand" entretenue par certains Russes, regrette-t-il: "Kant est allemand, donc c'est un ennemi".

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