Les alliés arabes du Soudan soutiennent les militaires au pouvoir

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Par Menna ZAKI - Khartoum (AFP)
Publié le 05 mai 2019 - 11:37
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Des manifestants soudanais réclamant un pouvoir civil le 3 mai 2019 devant le QG de l'armée à Khartoum
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© ASHRAF SHAZLY / AFP
Des manifestants soudanais réclamant un pouvoir civil le 3 mai 2019 devant le QG de l'armée à Khartoum
© ASHRAF SHAZLY / AFP

Des milliers de Soudanais campent depuis près d'un mois devant le QG de l'armée à Khartoum pour réclamer un gouvernement civil, mais d'importants alliés arabes du Soudan ont décidé de soutenir les militaires au pouvoir, selon des analystes.

Le 11 avril, après des mois de manifestations populaires, l'armée a poussé à la sortie le président soudanais Omar el-Béchir qui tenait d'une main de fer ce vaste pays d'Afrique depuis près de 30 ans.

Depuis, le Conseil militaire de transition refuse de céder le pouvoir aux civils comme le réclame la rue.

Dans le monde arabe, des alliés clés du Soudan comme l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l'Egypte semblent eux préférer que les généraux gardent le pouvoir.

"Il y a des signes clairs montrant que l'Egypte et des pays du Golfe ont mis tout leur poids derrière le Conseil militaire et l'ont ainsi enhardi", souligne Eric Reeves, spécialiste du Soudan à l'université américaine Harvard.

Quelques jours à peine après le départ d'Omar el-Béchir, les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite avaient appelé à "la stabilité" et à une "transition pacifique".

Ils ont ensuite annoncé un soutien financier commun de trois milliards de dollars (2,7 milliards d'euros), un coup de pouce bienvenu pour les nouveaux dirigeants dans un pays où la crise économique a alimenté les manifestations massives contre le régime.

Outre le soutien financier des pays du Golfe, le Conseil militaire semble bénéficier d'un appui diplomatique de l'Egypte actuelle présidente de l'Union africaine, relèvent des analystes.

Après avoir exigé mi-avril un transfert du pouvoir aux civils sous 15 jours, l'organisation régionale a finalement donné mercredi un nouveau délai de 60 jours aux militaires pour céder les rênes.

"Cela montre que ces pays jugent nécessaire de maintenir l'armée dans le conseil au pouvoir", relève le rédacteur en chef de l'hebdomadaire économique soudanais Elaff, Khalid Tijani.

- Exemple dangereux -

"L'un des principaux intérêts de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis sera de s'assurer que le Soudan maintienne ses troupes au Yémen", souligne Willow Berridge, professeur à l'Université britannique de Newcastle.

L'ex-président soudanais a envoyé des soldats au Yémen en 2015, dans le cadre d'un revirement majeur de politique étrangère. Khartoum a rompu ses relations avec l'Iran chiite et rejoint la coalition militaire dirigée par Ryad qui intervient en soutien au régime yéménite contre les rebelles chiites Houthis.

Le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil militaire, et son adjoint Mohamed Hamdan Dagalo, ont été les architectes du déploiement des troupes soudanaises au Yémen, selon des analystes et des groupes de défense des droits humains.

Les pays du Golfe "vont probablement vouloir les maintenir dans une position de force", a déclaré M. Berridge à l'AFP.

Le nombre de soldats soudanais engagé au Yémen reste inconnu, mais les médias soudanais ont rapporté qu'ils seraient des centaines, la mort de plusieurs d'entre eux alimentant la colère contre le président Béchir.

Au-delà du Yémen, certaines puissances arabes ont une autre raison de soutenir les généraux soudanais: la crainte que les protestations populaires au Soudan se répandent.

Pour ces pays, un nouveau Printemps arabe comme celui qui avait fait chuter les présidents de Tunisie et d'Egypte en 2011 et ébranlé d'autres régimes est une perspective effrayante.

"Ni l'Égypte ni les États du Golfe ne veulent d'une démocratie laïque dans la région qui serait un exemple pour leurs propres peuples souffrant sous leurs régimes répressifs", estime M. Reeves.

- "Beaucoup de ressentiment" -

L'Egypte, voisine immédiate du Soudan, a aussi ses propres raisons de vouloir que le Soudan reste sous l'emprise des généraux.

Le Caire et Khartoum ont connu des tensions notamment à cause d'un différend frontaliers et de la construction d'un barrage sur le Nil par l'Éthiopie qui inquiète l'Egypte pour son approvisionnement en eau.

Avant la chute d'Omar el-Béchir, le président Abdel Fattah al-Sissi a renoué des liens avec Khartoum. Pour des analystes, le dirigeant égyptien --lui aussi issu de l'armée-- considère les généraux comme sa meilleure chance de maintenir de bonnes relations avec le Soudan.

Le jour de l'éviction du chef de l'Etat soudanais, Le Caire a exprimé sa pleine confiance en "la capacité du peuple frère soudanais et de sa fidèle armée nationale à surmonter les défis de cette étape critique".

Les manœuvres des puissances arabes ne sont pas passées inaperçues dans les rues de Khartoum. Les manifestants ont protesté devant l'ambassade du Caire le mois dernier, demandant à Sissi de "s'occuper de ses affaires".

Des slogans comme "Non à l'aide saoudienne et émiratie" et "Laissez-nous tranquilles", ont également été vus sur des pancartes.

L'Égypte, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis en soutenant fermement le Conseil militaire "créent beaucoup de ressentiment chez les protestataires", relève M. Reeves.

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