Les jeux à gratter, une passion qui démange les Bulgares

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Par Vessela SERGUEVA - Tsarkva (Bulgarie) (AFP)
Publié le 01 juillet 2018 - 08:15
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Stoïan Stoïmenov, 96 ans, achète des jeux à gratter dans un café du village de Tsurkva, près de Sofia, le 28 mai 2018 en Bulgarie
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© Nikolay DOYCHINOV / AFP
Stoïan Stoïmenov, 96 ans, achète des jeux à gratter dans un café du village de Tsurkva, près de Sofia, le 28 mai 2018 en Bulgarie
© Nikolay DOYCHINOV / AFP

Stoïan Stoïmenov, 96 ans, et le jeune Denislav, 10 ans, ont un passe-temps commun: les jeux à gratter. Comme eux, des millions de Bulgares ont succombé à la fièvre de ces cartes multicolores qui prospèrent en l'absence d'une stricte régulation du secteur dans leur pays.

Après deux ans de grattage obstiné, la récompense est arrivée en février pour Stoïan le nonagénaire: un ticket gagnant lui a fait remporter 5.000 leva (2.500 euros), ce qui équivaut à 25 fois sa pension de retraite.

De quoi gâter ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants qui, en retour, lui ont offert ... un paquet de cartes à gratter pour son anniversaire.

"C'est une bonne chose qui aide les familles", estime le vieil homme qui n'est pas le seul joueur assidu à l'épicerie-cafétéria du village de Tsarkva, près de Sofia.

La vendeuse en témoigne: "On m'achète plus de jeux à gratter que tout autre article", dit-elle.

"Je joue de temps en temps, mais dans notre classe il y en a un qui ne fait que ça", déclare Denislav, 10 ans, venu en bicyclette s'acheter un ticket à 2 leva (1 euro) avec son argent du goûter.

Dans une Bulgarie de sept millions d'habitants, au niveau de vie le plus faible de l'Union européenne, le phénomène a pris une telle proportion depuis trois ans que le gouvernement souhaite désormais encadrer un secteur des loteries qui a longtemps eu les coudées franches.

- Une "épidémie" -

En l'absence d'une stricte régulation, les opérateurs privés ont commercialisé des dizaines de jeux soutenus par une publicité agressive, une politique fiscale incitative et un réseau de distribution presque sans limite.

"Il n'y a que dans les églises qu'on ne vend pas de ticket à gratter !", s'est récemment indigné le vice-Premier ministre Valeri Siméonov, alors qu'on peut acheter des jeux aux caisses des magasins, à la poste, dans les kiosques, dans le métro.

Selon l'hebdomadaire économique Capital, 100 millions de tickets ont été vendus en 2017 en Bulgarie, soit un chiffre d'affaires de 345 millions de leva (176,4 millions d'euros), en hausse de 8% sur un an.

Dans le nord-ouest du pays, la région la plus pauvre de l'UE, 10% des lycéens jouent quotidiennement et 11% une fois par semaine, a montré une récente étude.

Et les télévisions ne cessent d'exhiber aux heures les plus regardées les gagnants de ces loteries privées.

"Il y a une épidémie auprès des adolescents et des gens des catégories sociales les plus défavorisées", a admis Tsvetan Tsvetanov, vice-président du parti Gerb au pouvoir.

Selon un sondage de l'institut Gallup, 57% des Bulgares jouent à des jeux de hasard. Les cartes à gratter sont le dernier avatar d'un secteur qui a également vu les casinos pousser comme des champignons dans les années 1990.

L'ensemble de la filière jeux représente environ 3% du PIB, la proportion la plus élevée de l'UE après Malte, affirme l'analyste Tihomir Bezlov du groupe de réflexion Centre d'études de la démocratie (CSD).

- Mécènes de clubs sportifs -

Et l'Etat bulgare en profite peu: les autorités ont mis en place un dispositif fiscal très avantageux puisque les opérateurs de jeux ne paient pas de TVA, mais une taxe de 15% sur le chiffre d'affaires contre 10% pour les autres entreprises.

En 2017, le fisc n'a perçu que 138,3 millions de leva (70 millions d'euros) pour un chiffre d'affaires du secteur de 3 milliards de leva (1,5 milliard d'euros).

Ailleurs en Europe, plusieurs pays ont mis en place un monopole d'Etat sur les jeux de hasard; d'autres limitent le nombre d'opérateurs via un système de licences attribuées par l'Etat; certains n'autorisent des loteries que pour des oeuvres de charité.

En Bulgarie, les opérateurs sont privés et n'ont aucune obligation, mais sponsorisent des clubs sportifs dans la mesure qui leur convient, tout en réservant la principale part de leurs recettes à la publicité, explique l'expert Boïko Dimitrov du petit parti libéral "Da, Bulgaria", qui milite pour une réforme du secteur.

La publicité directe étant d'ores et déjà interdite, le gouvernement a présenté un projet de loi y ajoutant l'interdiction de la publicité indirecte via l'annonce des tirages et des gains. La vente serait limitée aux kiosques spécialisées et la vente aux mineurs serait prohibée.

Toutefois, ce projet n'augmente pas l'imposition, ni les amendes "ridicules" de 5.000 leva (2.500 euros) pour violation de la loi, critique Boïko Dimitrov.

Même ainsi, le projet a pourtant provoqué de vives réactions d'hostilité, en premier lieu dans le milieu des clubs sportifs subventionnés par les sociétés privées des jeux de hasard. "Gare à l'assassinat du sport!", a prévenu la légende du football bulgare Hristo Stoïtchkov.

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