L'ombre de la collaboration avec le Japon plane sur la Corée du Sud

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Par Claire LEE - Ansan (Corée du Sud) (AFP)
Publié le 07 mars 2019 - 07:45
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Shin Young-shin montre une photo de sa mère (d), lors d'une interview avec l'AFP, le 22 février 2019 à Ansan, en Corée du Sud
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© Jung Yeon-je / AFP
Shin Young-shin montre une photo de sa mère (d), lors d'une interview avec l'AFP, le 22 février 2019 à Ansan, en Corée du Sud
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Un siècle après des manifestations de masse contre l'occupation coloniale de la Corée par le Japon, la question de ceux qui ont collaboré avec Tokyo, devenus pour beaucoup membres de l'élite sud-coréenne, reste cachée dans l'ombre.

Quand les autorités à Séoul avaient signé le traité offrant la souveraineté de la péninsule à l'empereur du Japon en 1910, les nouveaux maîtres avaient décerné à 76 hommes politiques et responsables divers des titres de noblesse ainsi que des pensions de retraite valant l'équivalent de millions d'euros.

Dans les 35 ans qui ont suivi, des centaines de milliers de Coréens ont travaillé pour le colonisateur, comme fonctionnaires, soldats, enseignants ou policiers.

Selon les historiens, des centaines de milliers d'autres ont été contraints de servir au front, au travail forcé et à l'esclavage sexuel.

Quelques milliers sont partis résister en Chine contre l'occupant.

Dans les deux Corées, le combat pour l'indépendance est au coeur de l'identité nationale. Mais huit Sud-Coréens sur dix pensent que leur pays n'a pas complètement reconnu le problème de la collaboration, selon une étude gouvernementale publiée pour le 100ème anniversaire du Mouvement du 1er mars.

En cette journée de 1919, des manifestations monstres contre l'occupant avaient éclaté à travers la péninsule et avaient été durement réprimées. En deux mois, il y eut 7.500 morts et 46.000 arrestations, d'après les archives nationales de Séoul.

"Effacer les vestiges des collaborateurs projaponais" est "une chose qui aurait dû être faite il y a longtemps", a déclaré le président Moon Jae-in dans un discours commémoratif.

- "Patrie libérée" -

Mais c'est un sujet très politique. Les collaborateurs sont perçus comme de droite tandis que les conservateurs essayent de faire passer M. Moon pour un sympathisant de la Corée du Nord.

C'est la reddition du Japon à la fin de la Seconde guerre mondiale qui mit fin à son règne sur la péninsule, laquelle finit par être divisée par les vainqueurs.

Au Nord, le régime de Kim Il Sung, soutenu par Moscou, procéda à des exécutions massives de collaborateurs.

Au Sud, le gouvernement de Syngman Rhee, soutenu par les Etats-Unis, a recruté de nombreux officiers et responsables de l'ère coloniale, afin de s'appuyer sur leur expertise pour diriger le pays.

"Même dans la patrie libérée, ceux qui étaient policiers durant l'ère coloniale ont présenté les militants de l'indépendance comme des +Rouges+ et les ont torturés", a lancé M. Moon dans son discours.

Les rancoeurs historiques pèsent encore sur les relations entre Séoul et Tokyo et d'après Lee Young-hun, ancien professeur d'économie à l'Université nationale de Séoul, empêchent le Sud de véritablement regarder son passé en face.

Le professeur Lee, accusé d'être un "colonialiste", est un personnage controversé en Corée du Sud. "Ceux qui sont taxés d'être des collaborateurs du Japon sont des Coréens qui ont pris le modernisme à bras le corps", affirme-t-il.

- "Pas un sou du gouvernement" -

Parmi ceux qui s'exilèrent pour combattre le Japon figure l'arrière grand-père de Shin Young-shin, un général coréen emprisonné et torturé par les forces soutenues par Tokyo.

Les deux parents de Mme Shin ont participé à la résistance mais ont eu du mal à faire vivre la famille une fois rentrés au Sud à la fin des années 1940.

"Mes parents n'ont rien eu du gouvernement de leur vivant, même pas un sou, pour récompenser leur activisme", déclare Mme Shin, aujourd'hui âgée de 71 ans, dans son petit appartement d'Ansam, au sud de Séoul.

Selon les chiffres officiels, les trois quarts des descendants d'activistes à Séoul touchent moins de l'équivalent de 1.500 euros mensuels.

Mais les descendants de nombreux collaborateurs, définis par la loi ayant reçu des titres durant le règne japonais et ayant arrêté ou tué des indépendantistes ou leur famille, ont prospéré.

Parmi les anoblis de 1910, et inclus sur une liste de 1.005 collaborateurs publiée par Séoul il y a dix ans, figurait Song Byung-jun. Son fils conduisait les troupes qui avaient emprisonné l'ancêtre de Mme Shin. Son petit-fils devint le premier directeur de la banque centrale du Sud.

Certains des plus gros conglomérats du Sud furent fondés pendant l'ère coloniale. Des personnalités en vue, comme la présidente de Hyundai Group Hyun Jeong-eun, ont réclamé à la justice le retrait du nom de leurs ancêtres de cette liste.

Park Chung-hee fut un officier de l'armée japonaise avant de régner pendant 18 ans sur le Sud en tant que dictateur. Sa fille fut élue présidente en 2012.

Il ne fut pas officiellement classé comme collaborateur mais il figure sur une liste plus longue comprenant 4.349 noms établie par l'association Centre de la vérité historique et de la justice (CVHJ). Parmi eux, des personnalités culturelles comme Ahn Eak-tai, compositeur de l'hymne national.

"Il y a un dicton populaire en Corée du Sud: +Ceux qui ont combattu pour l'indépendance ont fait souffrir leurs descendants sur trois générations. Ceux qui ont collaboré avec les Japonais ont fait prospérer leurs descendants sur trois génération", dit Lee Yong-chang, chercheur du CVHJ.

Mme Shin, dont la mère fut décorée à titre posthume de l'Ordre national du mérite, ne l'accepte pas.

"J'ai prié pour être capable d'aimer mes ennemis mais je ne peux pas aimer les collaborateurs".

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