Militant des droits de l'homme à Medellin : le défi de rester en vie en Colombie

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Par Joaquin Sarmiento, et Hector Velasco à Bogota - Medellín (Colombie) (AFP)
Publié le 18 août 2018 - 08:45
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Le militant des droits de l'homme colombien James Zuluaga enfile son gilet pare-balles, dans son bureau de Medellin en Colombie, le 19 juillet 2018
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© Joaquin SARMIENTO / AFP/Archives
Le militant des droits de l'homme colombien James Zuluaga enfile son gilet pare-balles, dans son bureau de Medellin en Colombie, le 19 juillet 2018
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James est menacé de mort depuis longtemps. Après ses dénonciations de corruption policière dans un des quartiers les plus dangereux de Medellin, il a été doté d'un téléphone portable, d'un gilet pare-balles puis d'un dispositif d'alarme.

Mais aujourd'hui, ce militant des droits de l'homme âgé de 30 ans et père d'une fillette de neuf ans ne dispose plus que du gilet pare-balles, qui lui a été remis il y a trois ans par l'Unité nationale de protection (UNP).

Le plan de téléphonie mobile n'a pas été renouvelé et le dispositif de bouton d'alerte qu'il devait activer en cas de risque imminent, n'a fonctionné qu'une fois, a-t-il raconté à l'AFP.

James Zuluaga se sent vulnérable, surtout lorsqu'il sort de chez lui. Même s'il revêt son gilet pare-balles, il sait cela ne le sauvera pas si quelqu'un est décidé à le tuer.

"J'ai reçu plusieurs menaces (...) pour avoir exposé les problèmes de la Comuna 13, et encore plus quand des policiers sont impliqués, en particulier avec des groupes criminels", explique-t-il.

Il a vu la mort de près à quatre reprises depuis 2005. Notamment il y a cinq ans, lorsqu'une balle lui a emporté une côte.

Cet homme est l'un des militants des droits de l'homme les plus menacés de Colombie. Depuis 2016 jusqu'au 1er août dernier, 336 activistes comme lui ont été assassinés, un tous les trois jours, selon le Défenseur du Peuple, organisme public chargé de la protection des droits.

- Chômeur en gilet pare-balles -

Les autorités colombiennes se sont engagées à améliorer leur protection avec l'armée, des programmes de sécurité collectifs et en augmentant le budget des mesures de protection individuelle.

James précise que sa situation est à l'étude depuis deux mois.

Consultée par l'AFP, l'UNP s'est refusée à tout commentaire en invoquant des raisons de sécurité. Le parquet de Medellin a affirmé qu'il allait enquêter sur les plaintes visant des forces de l'ordre présumées alliées à des gangs.

James vit avec sa mère dans un modeste maisonnette. Les menaces l'ont contraint à se déplacer d'un quartier à l'autre de Medellin, deuxième ville de Colombie et chef-lieu du département d'Antioquia, dans le nord-ouest. La violence lui a déjà pris deux frères et deux neveux.

Depuis janvier, il est sans emploi: selon lui, Corporacion Pazifistas, l'ONG pour laquelle il travaillait, n'a plus de contrat avec la municipalité de Medellin.

Le chômage ne lui a pas évité les problèmes avec les gangs, ni avec les policiers qui lui reprochent son engagement.

"Le comble de l'ironie, c'est qu'un entrepreneur qui est en train de rénover un terrain de foot est protégé par quatre policiers. Mais les militants, qui n'ont pas d'argent et qui travaillent avec la communauté, ne bénéficient pas de protection", dénonce-t-il.

Du coup, "je dois aller chercher du travail vêtu de mon gilet pare-balles et ça effraie certains".

- Peur dans la ville -

L'Antioquia et le Cauca (ouest) sont les départements qui comptent le plus d'activistes assassinés, avec 47 et 83 respectivement, selon le Défenseur du Peuple.

Bien que la plupart de ces homicides aient été commis dans des zones rurales, où les bandes armées se disputent le contrôle de la drogue et des ressources minières, la ville de Medellin n'échappe pas à cette vague de violence.

"Ce qui est préoccupant, c'est que je ne suis pas le seul. Dans le quartier, nous sommes 14 activistes (...) sans aucun soutien de l'Etat", déplore James.

La Comuna 13 et ses quelque 138.000 habitants vivent sous le joug de gangs qui se disputent le contrôle du quartier pour le trafic de drogue et le racket.

Avec le désarmement de la guérilla des Farc, qui a signé la paix en 2016, l'intensité du conflit armé a diminué.

Mais des groupes armés restent présents dans 228 des 1.122 municipalités de Colombie, selon la fondation Paix et Réconciliation.

Dans les quartiers des hauteurs de Medellin, où autrefois les cartels de la drogue comme celui du défunt Pablo Escobar recrutaient leurs hommes de main, la violence persiste.

Cette année, les homicides ont augmenté de 96%, de 26 à 51 cas, comparé aux huit premiers mois de 2017, selon le Système municipal d'information pour la sécurité et la cohabitation.

James estime que derrière ces chiffres, il y a "l'importante présence de groupes armés, et parmi les personnes susceptibles de nous protéger, dont la police, beaucoup leur sont liées".

Des gangs avec lesquels il doit toutefois interagir "parce qu'ici ce sont les groupes armés qui décident, pas l'Etat".

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