Mohammed Jubayed, les premiers jours d'un bébé des camps rohingyas

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Par AFP
Publié le 16 octobre 2017 - 13:59
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Hasina Aktar, son nouveau-né Mohammed Jubayed dans les bras, devant le centre médical du camp de Kut
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Hasina Aktar, son nouveau-né Mohammed Jubayed dans les bras, devant le centre médical du camp de Kutupalong, le 12 octobre 2017 à Ukhia, au Bangladesh
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L'appel à la prière de l'après-midi résonne dans le camp de réfugiés rohingyas de Kutupalong quand, par une chaude lumière d'après-orage, Hasina Aktar sort seule d'une clinique de fortune en portant son nouveau-né, Mohammed Jubayed.

La jeune Rohingya de 20 ans est faible. Elle marche avec difficulté. Elle a accouché à peine vingt-quatre heures auparavant, dans des conditions sommaires racontées par l'AFP, au cœur de l'une des plus graves crises humanitaires de ce début de XXIe siècle.

Plus d'un demi-million de musulmans rohingyas de Birmanie ont trouvé abri au Bangladesh voisin depuis fin août pour fuir ce que les Nations unies considèrent comme une épuration ethnique. Cette marée humaine a submergé ce pays pauvre d'Asie du Sud. Des camps de réfugiés surpeuplés ont poussé du jour au lendemain, véritables cités de tentes où la survie est conditionnée à l'aide humanitaire.

Emmailloté dans une serviette toilette râpée, le minuscule Mohammed a la peau rouge d'irritations causées par la chaleur et l'humidité. Dans l'insalubrité des camps rohingyas du sud du Bangladesh, les nouveaux-nés sont particulièrement exposés aux infections et aux problèmes de malnutrition si la mère n'arrive pas à manger suffisamment.

Devant la clinique, Hasina demande d'une voix presque éteinte où est sa famille. Elle tente de les appeler sur leur portable, ils ne répondent pas. Une demi-heure passe. Sa belle-mère, puis son mari, finissent par arriver. Ils ont été retardés par des pluies torrentielles.

La première lui prend le nourrisson des bras. Le trio se coule dans la foule grouillante. Ils s'aventurent dans des venelles boueuses qui puent l'urine, dépassent des enfants jouant nus dans les flaques d'eau brunâtre. Une fumée bleutée nimbe les collines du camp en cette fin d'après-midi. Dans les chaumières, on cuit le dîner.

La belle-mère et son fils marchent vite. Exténuée, Hasina est à la traîne. Ses proches ne jettent pas un regard en arrière.

La nouvelle maison de Mohammed Jubayed est une hutte de bâches noires et de bouts de bois, au sol de terre battue.

La famille l'a dressée à leur arrivée de Birmanie, il y a quatre mois, avant la vague d'exode récente. Dans l'intérieur obscur règne une moiteur étouffante. Six personnes - quatre adultes et deux enfants - cohabitent déjà dans la promiscuité de cet espace où l'on tient à peine debout.

Fatima, la belle-mère, berce avec fierté son nouveau petit-fils. Les voisines viennent la féliciter. "Il a maigri depuis hier", remarque-t-elle avec un voile d'inquiétude. Au bord de l'évanouissement, Hasina va s'effondrer à l'intérieur de la cabane.

- Riz avec du sel -

Deux jours plus tard, le père du bébé, Mohammed Reaj, est sorti. Il rôde vers le marché pour trouver du travail. Ces dernières semaines, il conduisait un auto-rickshaw. A son retour de la courte absence pour la naissance de son enfant, le propriétaire avait confié le taxi à un autre.

La grand-mère n'est pas là non plus. Fatima est partie rendre visite à des proches dans le camp voisin de Balukhali. Sans argent pour s'offrir un moyen de transport, elle y est allée à pied. Sept kilomètres sous un soleil de plomb. Elle ne reviendra peut-être pas avant le lendemain.

Toujours enveloppé dans la serviette de toilette défraîchie, Mohammed Jubayed somnole dans le coin de pièce où sont entreposés pots en fer blanc et bidons vides. On l'a déposé sur une natte. "Quand le sol lui fait mal, il se met à pleurer", s'attriste sa mère.

Le nourrisson se porte plutôt bien, estime-t-elle. Mais des vomissements lors des tétées et des selles un peu blanches causent du souci à sa génitrice. L'enfant est toujours nu – sa famille n'a pas de vêtements pour lui. Ils le nettoient avec un linge mouillé.

"Je ne peux le nourrir que quatre à cinq fois par jour, je ne produis pas assez de lait", dit Hasina, encore fatiguée par l'accouchement. Elle rajuste pudiquement son voile pour cacher une tache sombre au niveau de sa poitrine.

Nur Kalima, sa fille de trois ans et demi, la houspille. La petite jalouse l'attention dont bénéficie le nouveau venu.

Pour le déjeuner, Hasina fait un peu de riz avec du sel.

Se procurer du petit bois pour alimenter le four en terre cuite est plus difficile. A son installation à Kutupalong, la famille en ramassait dans les collines alentours. Depuis, les arbres ont été abattus pour faire place aux cohortes de nouveaux réfugiés. Il leur faut désormais payer pour en acheter.

Au milieu du vacarme des coups de marteaux, des klaxons de camions humanitaires, de l'énervement d'une distribution de nourriture toute proche, Mohammed Jubayed dort toujours, ses petits poings fermés.

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