Nazisme : la repentance allemande au défi de la disparition des survivants

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Par Tom BARFIELD - Francfort (AFP)
Publié le 18 mai 2018 - 10:23
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Une femme est assise sur une stèle au Mémorial de la Shoah à Berlin, en avril 2018
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© Christophe Gateau / dpa/AFP/Archives
Une femme est assise sur une stèle au Mémorial de la Shoah à Berlin, en avril 2018
© Christophe Gateau / dpa/AFP/Archives

Après des décennies d'un travail de mémoire exemplaire, l'Allemagne s'interroge sur la manière d'enseigner cette politique de repentance aux jeunes générations alors que les survivants au nazisme disparaissent et que renaît l'extrême droite.

Dans la bibliothèque du collège Liebig à Francfort, les adolescents se pressent autour de Ralph Dannheisser qui en 1940 a pu fuir in extremis la persécution antisémite avec ses parents, contrairement au reste de sa famille.

"Ma mère ne s'est jamais remise de l'assassinat de ses parents et de son frère. Moi aussi j'ai ressenti un grand vide, car j'ai grandi sans papy ni mamy, sans oncles, sans tantes, sans cousins", explique le vieil homme de 80 ans.

Dans son public, l'émotion est palpable. "C'était vraiment très détaillé, on n'apprend pas ces choses-là en classe (...) On lisait dans ses yeux ce qu'il a ressenti, ce sont des choses inimaginables pour un élève, un enfant comme moi", confie Ronan Chollet-Ricard, 15 ans.

Ralph Dannheisser aussi se dit "impressionné": "ils avaient des questions intelligentes, ça donne de l'espoir".

Ce type de rencontres organisées dans les écoles allemandes sont depuis de longues années parmi les outils de sensibilisation à l'Histoire, d'autant que dans les familles allemandes le silence, la complicité ou l'enthousiasme d'aïeux face au régime d’Adolf Hitler est longtemps resté un sujet tabou.

"Tant qu'on est là, c'est important de raconter nos histoires pour garder la mémoire en vie", souligne M. Dannheisser.

Mais avec la disparition exponentielle des témoins d'époque, comment continuer ce travail auprès des adolescents?

"Plus on s'éloigne de l'Holocauste, de la Seconde guerre mondiale, plus cela devient urgent de trouver de nouveaux moyens pour communiquer tout cela", estime Stephan Peters, professeur d'Histoire dans le collège depuis 1992.

- Virage à 180° -

"La question est de savoir si nous pouvons garder en vie ce sentiment d'affliction et le sens de la responsabilité qui en découle", poursuit-il.

Ce défi s'annonce plus compliqué que beaucoup ont pu l'imaginer après des décennies à construire une identité nationale fondée sur la repentance, à bâtir une société centrée sur les droits fondamentaux et à constituer un système politique restreignant l'arbitraire du pouvoir.

Car en septembre 2017, porté par les inquiétudes générées par l'afflux de centaines de milliers de réfugiés, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne a enregistré un score historique aux législatives. Il a obtenu près d'une centaine de députés, une première depuis la fondation de la République en 1949.

Outre son discours islamophobe, l'AfD s'est aussi érigé en héraut de la grandeur allemande, remettant en cause la politique mémorielle du pays en estimant que le temps est venu de ne plus se définir par rapport aux crimes passés.

L'une de ses figures, Björn Höcke, s'est illustré l'an dernier en qualifiant le mémorial berlinois de la Shoah de "monument de la honte", en réclamant "un virage à 180° de (la) politique de mémoire" et en dénonçant l'enseignement d'une Histoire allemande trop négative à ses yeux.

Le chef de l'AfD, Alexander Gauland a enfoncé le clou en revendiquant un "droit d'être fiers des performances des soldats durant les deux guerres mondiales".

- Cours de perfectionnement -

Autre défi récent, l'émergence d'un nouvel antisémitisme avec l'afflux de centaines de milliers de demandeurs d'asile originaires de pays où la haine des juifs a été nourrie par les décennies du conflit israélo-palestinien.

Une solution pour inculquer la culture du "plus jamais ça" passe par les visites des lieux des crimes, et certains responsables politiques réclament même de rendre ces pèlerinages éducatifs obligatoires.

Mais ces sites affichent souvent complets. "Nous sommes à la limite de nos capacités, nous avons plus de groupes scolaires que ce que nous pouvons gérer et nous sommes obligés de refuser des demandes", explique Stephanie Billib, une représentante du mémorial du camp de concentration de Bergen-Belsen.

Pour elle, avec le départ des témoins, il en va de la responsabilité de chacun : "nous devrons tous nous exprimer bien plus fermement" sur les crimes commis par la génération des arrière-grands-parents des adolescents d'aujourd'hui.

Enfin, il s'agit aussi de contrer toutes les formes de négationnisme ou de relativisme. Deux rappeurs, Farid Bang et Kollegah, ainsi que les organisateurs du principal prix musical allemand, les "ECHO", en ont récemment fait l'expérience.

Accusés de paroles antisémites ou à tout le moins très déplacées dans l'album de rap le plus vendu de l'année en Allemagne, les artistes ont été conspués, perdant des contrats, tandis que les "ECHO" ont dû se saborder pour avoir récompensé ces chanteurs.

Christoph Heubner, vice-président du Comité Auschwitz, a invité, selon le magazine Der Spiegel, les deux rappeurs à la mode à visiter le camp d'extermination éponyme où 1,1 million de juifs ont été tués.

"La visite serait une sorte cours de perfectionnement en matière d'humanité", a-t-il lâché.

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