Pérou : les familles des victimes en colère après la grâce de Fujimori

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Par Carlos MANDUJANO - Lima (AFP)
Publié le 06 janvier 2018 - 08:43
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Une femme proteste contre la sortie de l'hôpital de l'ex-président péruvien Alberto Fujimori le 4 janvier 2018 à Lima
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© CRIS BOURONCLE / AFP
Une femme proteste contre la sortie de l'hôpital de l'ex-président péruvien Alberto Fujimori le 4 janvier 2018 à Lima
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"J'ai le sentiment qu'ils ont tué ma soeur une seconde fois", lâche Gladys Rubina. Comme d'autres proches de victimes du gouvernement d'Alberto Fujimori, elle laissait vendredi éclater sa colère après la sortie de clinique de l'ancien président péruvien gracié.

"Ma mère souffre, elle regarde la chambre de ma soeur et se met à pleurer, alors que ce monsieur (Fujimori) est avec ses enfants qui peuvent le serrer dans leurs bras et l'embrasser", dit à l'AFP Gladys Rubina, 49 ans, la photo de sa soeur serrée contre son coeur lors d'une réunion de parents de victimes.

Ceux-ci étudient les démarches à entreprendre pour déposer un recours après que M. Fujimori, condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité, est ressorti libre de la clinique dans laquelle il avait été transféré le 23 décembre avant d'obtenir le lendemain une grâce "humanitaire" de l'actuel président, Pedro Pablo Kuczynski.

La soeur de Mme Rubina, Nelly Rubina, 17 ans à l'époque des faits, fait partie des 15 victimes du massacre de Barrios Altos, un quartier de Lima. Un escadron de la mort formé de militaires avait fait irruption dans une fête le 3 novembre 1991, tuant toutes les personnes présentes, accusées d'avoir collaboré avec la guérilla du Sentier lumineux (extrême gauche maoïste).

La justice péruvienne a reconnu que cette accusation était fausse au cours du procès de l'ancien homme fort du Pérou (1990-2000), à l'issue duquel il a été condamné à 25 ans de prison en 2009 pour avoir notamment commandité deux massacres, dont celui de Barrios Altos.

- Une plaie toujours ouverte -

"La plaie que je ressens ne s'est jamais refermée, elle est toujours été présente. Comment M. Fujimori peut-il être libre après avoir détruit une famille?", s'interroge Rosa Rojas, qui a perdu son époux et son fils de 8 ans.

"Nous étions cinq, nous ne sommes plus que trois", explique cette mère de famille qui a miraculeusement échappé au massacre en s'enfuyant dès que les militaires sont entrés.

Alberto Fujimori, 79 ans, qui a gouverné le Pérou d'une main de fer (1990-2000), a purgé 12 ans de prison. Il a été gracié le 24 décembre par M. Kuczynski, qui s'était pourtant engagé durant sa campagne électorale de 2016 à ne pas le libérer.

Une partie des Péruviens reprochent à "PPK", acronyme et surnom du président, d'avoir négocié sa survie à la tête de l'Etat avec le fils de M. Fujimori, Kenji Fujimori, un parlementaire du parti Fuerza Popular, la principale formation d'opposition.

Le 21 décembre, le président de centre-droit avait échappé à une procédure de destitution du Parlement lancée en raison de ses liens avec Odebrecht, le géant du BTP brésilien.

Les proches des victimes ont annoncé avoir fait appel à la Cour interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH), dont le siège est à San José, au Costa Rica, afin qu'elle demande des comptes au gouvernement péruvien et analyse cette grâce.

Une audience à ce sujet doit se tenir le 2 février.

- 'Cette grâce n'a pas lieu d'être' -

"Nous voulons que la Cour entende les parties, qu'elle entende les victimes mais aussi l'Etat péruvien afin qu'elle se rende compte que cette grâce n'a pas lieu d'être", a déclaré Gisela Ortiz.

Son frère, Luis Enrique Ortiz, avait été enlevé à l'âge de 22 ans, aux côtés de huit autres étudiants et d'un professeur, le 18 juillet 1992, par un escadron militaire dans l'université de La Cantuta. Tous avaient été assassinés et enterrés dans une fosse.

Seuls les restes de cinq des dix victimes ont été retrouvés.

"Tous nos espoirs résident désormais dans l'audience de la Cour interamericaine", souligne Mme Ortiz. "Le seul corps entier (retrouvé) était celui de mon frère, les autres ont été brûlés".

"Fujimori peut poursuivre ses projets personnels et continuer à être avec sa famille mais nous, nos familles, à cause d'une décision politique qu'il a prise, nous ne les avons plus. C'est une injustice permanente", estime-t-elle.

"Il se moque de nos mères qui n'ont eu de cesse de demander que justice soit faite. Fujimori ne remplit aucune des conditions pour obtenir une grâce humanitaire. Cette grâce est uniquement politique", souligne d'une voix paisible Carolina Oyague, qui a perdu sa soeur de 22 ans, Dora, dans le massacre de La Cantuta.

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