"Jour noir" dans les camps rohingyas, un an après l'exode de Birmanie

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Par Aidan JONES, avec Hla-Hla Htay à Maungdaw - Cox's Bazar (Bangladesh) (AFP)
Publié le 24 août 2018 - 13:24
Mis à jour le 26 août 2018 - 10:42
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Une jeune rohingya contemple le camp de réfugiés de Balukhali près de Cox's Bazar, au Bangladesh, le 23 août 2018
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© Dibyangshu SARKAR / AFP
Une jeune rohingya contemple le camp de réfugiés de Balukhali près de Cox's Bazar, au Bangladesh, le 23 août 2018
© Dibyangshu SARKAR / AFP

Des dizaines de milliers de réfugiés rohingyas ont manifesté samedi au nom de la "justice" dans les immenses camps de réfugiés du Bangladesh, à l'occasion du premier anniversaire du début d'un exode sans précédent de Birmanie voisine.

"Nous demandons justice à l'ONU", ont scandé les membres de cette communauté musulmane apatride, dont 700.000 membres ont fui l'année dernière la Birmanie pour échapper à ce que les Nations unies considèrent comme une épuration ethnique menée par l'armée.

Dans ce qui est désormais le plus grand camp de réfugiés de la planète, avec près d'un million de personnes au total, le chaos de l'automne 2017 a accouché d'une mer de cabanons de bambous et de bâches où règnent désespoir et misère absolue.

Dans des rassemblements surprise et jamais vus dans ces camps étroitement surveillés par les autorités du Bangladesh, une foule de Rohingyas est sortie samedi de ses cahutes et s'est jointe à des manifestations et marches pacifiques pour commémorer un "jour noir".

Environ 40.000 personnes ont participé à ces congrégations, selon des estimations de la police locale.

Le 25 août 2017, des attaques par des rebelles rohingyas déclenchaient une vague de répression de l'armée birmane à l'encontre de la minorité paria. Cette campagne militaire a provoqué des déplacements de populations d'une magnitude jamais vue dans cette région, pourtant enferrée dans un cycle sans fin de haine et de violences intercommunautaires depuis des décennies.

Au Bangladesh, des manifestants arboraient des foulards marqués "Sauvez les Rohingyas", d'autres agitaient des drapeaux. "Plus jamais: jour du souvenir du génocide rohingya. 25 août 2018", proclamait une bannière sur une colline du camp de Kutupalong.

"S'il te plaît Allah, ramène-nous sur notre terre natale", a lancé un imam lors d'un émouvant sermon à une assemblée où nombre d'auditeurs laissaient libre cours à leurs larmes. "Laisse-nous voir les tombes de nos parents. Nous les avons laissées en Birmanie aussi."

Dans les attroupements, la tristesse se mêlait de colère pour cette population bloquée dans l'impasse des camps de réfugiés. Malgré un accord de rapatriement entre la Birmanie et le Bangladesh en fin d'année dernière, le processus est actuellement au point mort. Moins de 200 Rohingyas ont franchi la frontière dans l'autre sens.

- Massacres et viols -

"Le 25 août, nos femmes ont été violées. Nous avons été chassés de notre terre. Ils nous ont tués. Nous avons perdu beaucoup de frères", a déclaré à l'AFP Mohammad Ayub, un réfugiés de 28 ans.

"Nous nous souvenons d'eux en ce jour. C'est un jour noir", a-t-il ajouté.

L'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA), l'obscure organisation à l'origine des attaques du 25 août, a marqué cet anniversaire en dénonçant le "gouvernement terroriste birman et le régime militaire génocidaire".

La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, très critiquée pour la gestion de cette crise, a rejeté cette semaine la responsabilité de l'échec du rapatriement sur Dacca, qui selon elle "doit décider de la rapidité" avec laquelle les réfugiés pourront rentrer.

Ce double langage diplomatique, les retards multiples, les appels à une enquête de la Cour pénale internationale et les craintes de nouvelles violences rendent plus incertaine que jamais la perspective d'une résolution de la crise.

"Cet anniversaire d'un an est seulement le début de nombreux autres à suivre", a estimé Abdul Malek, un réfugié de 27 ans qui a fui l'année dernière l'attaque de son village de Birmanie.

Malgré les affirmations du Bangladesh et de la Birmanie, les Nations unies et organisations humanitaires estiment que les conditions sont loin d'être réunies pour un retour en toute sécurité des Rohingyas, considérés comme des étrangers par Naypyidaw.

"Des décennies passeront peut-être avant qu'ils puissent retourner en Birmanie, si jamais ils le peuvent", a déclaré dans un communiqué Pavlo Kolovos, chef de la mission de Médecins sans frontières (MSF) au Bangladesh.

Interdits par les forces de l'ordre bangladaises de quitter les camps, les réfugiés rohingyas voient le temporaire s'installer dans la durée.

L'ONU a lancé en mars un appel de fonds d'un milliard de dollars pour subvenir aux besoins gigantesques, mais jusqu'ici seul un tiers de la somme a été récoltée, ce qui inquiète les observateurs.

De son côté, la Banque mondiale a annoncé en juin qu'elle allait débloquer une aide de près d’un demi-milliard de dollars afin d'aider le Bangladesh.

Bien loin de cette activité internationale, le réfugié Shamsu Alam et les siens ne survivent au jour le jour dans les camps du Bangladesh que grâce aux rations de riz et lentilles distribuées par les ONG. Le jeune homme de 28 ans essaye en vain de trouver du travail. La compétition est féroce.

"Je n'ai rien à faire ici. Nous ne pouvons pas sortir pour travailler. Je veux juste faire quelque chose."

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