Tchétchénie : l'ONG Memorial dans le viseur de Ramzan Kadyrov

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Par Maria ANTONOVA - Moscou (AFP)
Publié le 22 janvier 2018 - 13:46
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Devant le siège de Memorial, ONG russe de la défense des droits de l'Homme à Moscou, le 21 mars 2013
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© KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP/Archives
Devant le siège de Memorial, ONG russe de la défense des droits de l'Homme à Moscou, le 21 mars 2013
© KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP/Archives

Arrestations, perquisitions et agressions se multiplient contre Memorial, la dernière organisation de défense des droits de l'Homme en Tchétchénie. Pour nombre de militants, leur origine ne fait aucun doute: Ramzan Kadyrov, plus que jamais homme fort de la république du Caucase russe.

Après l'arrestation du responsable de Memorial dans cette région, Oïoub Titiev, un autre représentant de l'ONG, Oleg Orlov, constate: il est devenu "pratiquement impossible" pour les militants des droits de l'Homme d'y travailler.

A 60 ans, Oïoub Titiev a été arrêté le 9 janvier par la police tchétchène qui affirme avoir trouvé dans sa voiture de la drogue, selon lui placée dans le véhicule à son insu. Il risque jusqu'à dix ans de prison.

Quelques jours plus tard, deux inconnus ont mis le feu à l'antenne de Memorial en Ingouchie, autre république du Caucase russe voisine de la Tchétchénie, détruisant ordinateurs et documents. Vendredi, la police a perquisitionné ses locaux à Grozny, la capitale tchétchène, pour la troisième fois en une semaine.

Memorial est la dernière organisation de défense des droits de l'Homme encore présente en Tchétchénie, malgré ses critiques contre Ramzan Kadyrov qui dirige cette république à majorité musulmane depuis 2007 avec le soutien de Vladimir Poutine.

Selon Igor Kaliapine, à la tête de l'ONG Comité contre la torture, une telle défiance est inacceptable pour le leader tchétchène. Il l'accuse d'avoir déclenché une "guerre non déclarée" contre les militants des droits de l'Homme.

M. Kadyrov a récemment affirmé que ces militants "n'ont pas de nation, n'ont pas de religion, ils n'ont que leurs propres intérêts".

- 'Système totalitaire' -

Ramzan Kadyrov "cherche à construire un système totalitaire parfait en Tchétchénie, basé non seulement sur la peur, mais sur un amour sincère", assure M. Kaliapine. "Si quelqu'un dit du mal de lui en Tchétchénie, c'est comme si sa maison était cambriolée".

Les ONG de défense des droits de l'Homme ont considérablement réduit leur présence en Tchétchénie depuis l'assassinat en 2009 de Natalia Estemirova, qui dirigeait l'antenne de Memorial avant Oïoub Titiev.

Le Comité contre la torture a continué pendant plusieurs années d'y envoyer ses membres pour des missions de courte durée, tout en étant la cible d'incendies et d'agressions.

Igor Kaliapine lui-même a été attaqué à Grozny en 2016 par des hommes masqués qui ont jeté sur lui des oeufs et du liquide antiseptique.

"Aucune de ces délits n'a fait l'objet d'une enquête", souligne-t-il, accusant le dirigeant tchétchène d'avoir orchestré ces agressions: "On ne peut même pas éternuer en Tchétchénie sans que Kadyrov ne le sache".

Son ONG n'a plus d'antenne locale dans cette république, notamment en raison du peu d'intérêt démontré par les habitants. "A quoi bon demander de l'aide à ces gens s'ils ne peuvent pas se défendre eux-mêmes?", explique Igor Kaliapine.

- Sanctions américaines -

Accusé par des ONG des droits de l'Homme d'encourager les exactions à l'encontre des jihadistes présumés ou des homosexuels, M. Kadyrov jouit d'une popularité écrasante: selon un sondage réalisé en mai par l'institut VTsIOM, 77% des Russes approuvent au moins partiellement son action.

En Syrie, il finance les travaux de restauration des sites culturels islamiques. La télévision nationale vante ses efforts pour rapatrier d'Irak les enfants abandonnés des combattants du groupe Etat islamique (EI), souvent originaires du Caucase du Nord russe.

En décembre, les Etats-Unis l'ont placé sur leur liste noire, l'accusant d'être personnellement impliqué dans de graves violations des droits de l'Homme.

Peu après, le réseau social Instagram a fermé son compte, où il publiait pour ses trois millions d'abonnés des images de ses séances de sport ou de ses prières, et ses réactions à l'actualité internationale.

Pour Ekaterina Sokorianskaïa, du Centre d'analyse et de prévention des conflits, ces sanctions et la perte de ce moyen de communication ont pu pousser le président tchétchène à accentuer la pression sur Memorial.

Les autorités tchétchènes avaient mis en cause la responsabilité des "pseudos" défenseurs des droits dans l'introduction des sanctions américaines contre Ramzan Kadyrov.

"Instagram était un outil de propagande crucial, son jouet préféré, estime Ekaterina Sokorianskaïa.

"Il a gagné un poids politique encore plus grand en 2017", constate l'experte. "Il se rend compte que son capital politique augmente et l'impunité du régime augmente aussi".

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