Tensions avec Washington : fermer la base d'Incirlik pourrait coûter cher à Ankara

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Par Sylvie LANTEAUME - Washington (AFP)
Publié le 14 août 2018 - 21:51
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Localisation de la base d'Incirlik, principale base aérienne de l'Otan en Turquie
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Turquie
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Une fermeture aux appareils américains d'Incirlik, principale base aérienne de l'Otan en Turquie et important soutien des opérations de la coalition antijihadistes en Syrie, pourrait s'avérer coûteuse pour Ankara, selon plusieurs analystes.

Alors que les relations entre les Etats-Unis et la Turquie, alliés au sein de l'Alliance atlantique, ont atteint leur plus bas depuis des décennies ces dernières semaines, le président turc Recep Tayyip Erdogan a prévenu Washington qu'il pourrait être poussé à trouver "de nouveaux amis et de nouveaux alliés".

M. Erdogan a notamment eu une conversation téléphonique avec le président russe Vladimir Poutine, avec lequel il a discuté de questions économiques et commerciales ainsi que de la crise en Syrie.

Et selon des documents publiés la semaine dernière par des médias américains, un groupe d'avocats proches du gouvernement turc a déposé une motion devant le tribunal d'Adana, ville la plus proche de la base d'Incirlik, pour demander l'arrestation d'officiers américains accusés d'avoir participé au coup d'Etat manqué de juillet 2016 contre M. Erdogan.

Les avocats citent notamment le général Joseph Votel, commandant des forces américaines au Moyen-Orient, parmi les responsables américains dont ils veulent l'arrestation.

"Nous n'avons constaté aucun changement dans nos relations avec nos alliés turcs", a pourtant assuré mardi le général britannique Felix Gedney, commandant adjoint des forces de la coalition en Syrie et Irak.

Mais pour l'ancien commandant des forces de l'Otan James Stavridis, la situation est inquiétante. "Perdre la Turquie serait une erreur géopolitique monumentale", a-t-il estimé lundi sur la chaîne MSNBC. "On devrait pouvoir l'empêcher, mais c'est à la Turquie de faire le premier pas à ce stade".

Un avis partagé par Joshua Landis, directeur du Center for Middle East Studies, pour qui "c'est la Turquie qui souffrira le plus" des tensions avec Washington.

"Je soupçonne fort qu'Incirlik va rester", précise-t-il à l'AFP. "Pour la Turquie, chasser les Etats-Unis serait un revers majeur et je ne pense pas qu'Erdogan le veuille".

- Têtes nucléaires -

La base d'Incirlik, dans le sud de la Turquie, a été construite par les Etats-Unis en 1951, au plus fort de la Guerre froide. Elle a servi de base arrière pour les opérations américaines dans toute la région et elle abrite 50 têtes nucléaires de la force de dissuasion de l'Otan, qui assurent depuis des décennies la sécurité de la Turquie.

Depuis le 11-Septembre, elle fournit le plus gros de l'assistance logistique aux opérations de l'Otan en Afghanistan et elle est largement utilisée depuis 2015 pour les opérations de la coalition internationale en Irak et en Syrie.

Mais aujourd'hui, avec une Turquie qui apparaît de plus en plus instable, certains experts suggèrent de réduire la dépendance de l'US Air Force à la base d'Incirlik.

"Je ne veux pas dire que nous devrions rompre nos relations avec la Turquie, mais (...) la chose que les Turcs ont tendance à brandir le plus facilement --l'accès à la base d'Incirlik-- devient de moins en moins importante", déclarait récemment Steven Cook, du Council on Foreign Relations.

Et le centre de recherche Bipartisan Policy Center, qui encourage les compromis entre républicains et démocrates, a publié sur son site une carte de la région avec toutes les alternatives possibles à Incirlik pour les opérations américaines au Proche-Orient, notamment des bases aériennes en Jordanie ou au Koweït.

De plus, les tensions avec les Etats-Unis risquent de coûter cher à la Turquie en termes de programmes militaires.

Le Congrès américain a interdit au Pentagone de livrer à la Turquie le moindre avion de combat F-35 tant qu'Ankara ne se serait pas engagée à ne pas finaliser ses négociations avec la Russie pour l'achat de systèmes de défense antiaérienne russes S-400, auxquels cet avion furtif est censé pouvoir échapper.

Et Ankara, partenaire depuis 2002 du consortium international ayant financé le F-35, risque de perdre un juteux contrat de 1,5 milliard de dollars avec le Pakistan pour la vente de 30 hélicoptères d'attaque de fabrication turque T-129 ATAK.

Selon la publication spécialisée Defense News, qui cite des responsables militaires turcs, l'appareil comporte des pièces fabriquées aux Etats-Unis. Washington pourrait décider d'en bloquer l'exportation si les relations s'envenimaient encore.

Signe que malgré l'escalade verbale, les dirigeants turcs semblent soucieux de ne pas aggraver la situation, la Maison Blanche a annoncé lundi que l'ambassadeur de Turquie à Washington, Serdar Kilic, avait rencontré le conseiller à la sécurité nationale de la présidence, John Bolton.

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