Turquie : la difficile campagne, de sa prison, du candidat Demirtas

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Par Luana Sarmini-Buonaccorsi - Ankara (AFP)
Publié le 06 juin 2018 - 08:45
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Photo fournie le 4 mai 2018 par le Parti démocratique des peuples (HDP) du candidat à la présidentielle Salhattin Demirtas, incarcéré depuis 2006 à la prison d'Edirne
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© HANDOUT / Kurdish Peoples's Democratic Party (HDP)/AFP/Archives
Photo fournie le 4 mai 2018 par le Parti démocratique des peuples (HDP) du candidat à la présidentielle Salhattin Demirtas, incarcéré depuis 2006 à la prison d'Edirne
© HANDOUT / Kurdish Peoples's Democratic Party (HDP)/AFP/Archives

"Demirtas, c'est vous" : emprisonné depuis 2016, le chef de file des prokurdes de Turquie Selahattin Demirtas fait comme il peut campagne en vue d'élections anticipées cruciales, s'appuyant sur ses militants pour remporter un bras de fer inégal contre le président Recep Tayyip Erdogan.

Signe de la délicate situation dans laquelle il se trouve, c'est de la prison d'Edirne (nord-ouest), où il est écroué depuis novembre 2016 pour activités "terroristes", que M. Demirtas a été contraint de faire mercredi son premier "meeting" de campagne.

Profitant d'un entretien téléphonique avec son épouse autorisé par l'administration pénitentiaire, M. Demirtas s'est adressé à travers elle à ses partisans, dénonçant l'"injustice" qui, a-t-il dit, s'est renforcée sous la férule de M. Erdogan.

Enregistrée dans le salon de leur domicile familial à Diyarbakir (sud-est), cette allocution, audible via le haut-parleur du téléphone de Mme Demirtas, a ensuite été postée sur les réseaux sociaux par sa formation, le Parti démocratique des peuples (HDP).

M. Demirtas, un avocat de formation âgé de 45 ans, a été arrêté avec une dizaine d'autres députés du HDP le 4 novembre 2016, dans la foulée des purges déclenchées après le coup d'Etat manqué du 15 juillet de la même année.

Accusé de faire de la propagande et d'appartenir au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux, M. Demirtas risque jusqu'à 142 ans de prison.

Mais cela n'a pas empêché le HDP de le désigner candidat à la présidentielle, qui se déroule en même temps que les législatives, du 24 juin.

Cependant, le candidat prokurde a dû adapter sa stratégie, privé de la liberté de mouvement dont il usait autrefois pour organiser les meetings festifs qui lui ont permis d'apparaître comme étant un rival sérieux de M. Erdogan à l'occasion d'élections en 2014 et 2015.

- "Obstacles" -

De sa cellule à Edirne, M. Demirtas tweete quasi-quotidiennement par l'intermédiaire de ses avocats, alternant messages politiques, commentaires sur l'actualité et traits d'humour.

"Lorsque je fais des sondages dans ma cellule, je gagne toujours à 100%. Je plaisante. Une fois, lorsque je me suis agacé et n'ai pas voté pour moi, j'ai obtenu 50% des voix", a-t-il par exemple tweeté.

Pendant ce temps, les deux coprésidents du HDP sillonnent la Turquie.

"C'est difficile (de faire campagne ainsi), mais l'idée d'échouer ne nous vient pas à l'esprit", assure l'un d'eux, Sezai Temelli, interrogé par l'AFP à bord de son bus de campagne à Ankara.

Plusieurs responsables du HDP affirment que leurs rassemblements sont souvent perturbés, voire empêchés, par les forces publiques.

Les autorités "ont recours à tous les obstacles possibles", dénonce M. Temelli.

De plus, la campagne du HDP est largement ignorée par les médias traditionnels de plus en plus contrôlés par le gouvernement.

Selon Transparency International Turquie, la chaîne de télévision publique TRT n'a accordé que trois secondes de temps d'antenne à M. Demirtas au cours de ses principaux journaux en mai, contre 105 minutes à M. Erdogan.

M. Demirtas a néanmoins été autorisé à enregistrer un message de campagne pour la TRT, comme les autres candidats.

- "Ayez confiance" -

En dépit de cette situation, M. Demirtas exhorte ses troupes à être optimistes : "Demirtas, ce n'est pas l'homme qui est dans une cellule à Edirne. C'est vous. Ayez confiance en vous !", a-t-il lancé dans son allocution diffusée vendredi.

Le parti a beau se dire confiant, le fait que M. Demirtas soit incarcéré "peut briser la motivation des électeurs du HDP", qui partiraient du principe que la bataille est perdue d'avance, estime Murat Gezici, le président de l'institut de sondages Gezici.

Selon ses enquêtes, M. Demirtas obtiendrait 8 à 9% des voix à la présidentielle et son parti 9,7% aux législatives.

Özer Sencar, le PDG de l'institut Metropoll, dont les sondages donnent à M. Demirtas 11,4% des intentions de vote et au HDP 11%, est d'un autre avis.

"Demirtas est le meilleur candidat que pouvait choisir le HDP : jeune, intelligent, avec un bon sens de l'humour, apprécié des Kurdes et pour lequel des Turcs, surtout de gauche, ont de la sympathie", dit-il.

Un constat appuyé par Dürüst, une électrice du HDP rencontrée à l'occasion d'un rassemblement à Ankara : "Nous avons une idéologie, une croyance, un combat à mener. Demirtas peut être en prison, (...) mais ce combat ne s'arrête pas".

"Nous sommes à un moment charnière : c'est soit le HDP, soit notre fin", ajoute-t-elle.

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