Ukraine : la diaspora hongroise craint une assimilation linguistique forcée

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Par Olga SHYLENKO - Beregové (Ukraine) (AFP)
Publié le 07 janvier 2018 - 10:11
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Les inscriptions en ukrainien et hongrois à l'entrée d'un poste de police le 14 novembre 2017 à Beregove dans l'ouest de l'Ukraine
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© Genya SAVILOV / AFP
Les inscriptions en ukrainien et hongrois à l'entrée d'un poste de police le 14 novembre 2017 à Beregove dans l'ouest de l'Ukraine
© Genya SAVILOV / AFP

A entendre les passants discuter avec les vendeurs dans la rue centrale de Beregové, on pourrait se croire en Hongrie. Or, la petite ville est en Ukraine et aujourd'hui ses habitants sont inquiets des desseins de Kiev qui a voté une loi renforçant la place de l'ukrainien à l'école.

"L'establishment de Kiev a fait une bêtise!" s'insurge Fedir Chandor, professeur à l'université d'Oujgorod, chef lieu de la région, la Transcarpatie.

En Transcarpatie, 8% de la population, soit environ 100.000 personnes, ont le hongrois comme première langue et de nombreuses enseignes sont écrites dans les deux langues.

Les écoles hongroises dispensent leur enseignement en hongrois, et l'ukrainien y est considéré comme une matière.

Mais l'article 7 de la nouvelle loi stipule que la plupart des matières enseignées au collège et au lycée vont désormais être dispensées en ukrainien.

Le texte ne précise cependant pas les détails de ce processus et cette ambiguïté laisse le champ libre à toute sorte d'interprétations.

"Personne ne peut nous expliquer comment cela se fera en pratique!" déplore Stella Kesler, directrice d'une école hongroise à Oujgorod. "Est-ce que nos enfants vont étudier quatre ans en hongrois, puis passer d'un coup à l'ukrainien?" s'interroge-t-elle.

Coupée géographiquement du reste de l'Ukraine par la partie orientale des Carpates, la Transcarpatie compte plus de 70 écoles hongroises (un quart du total) accueillant presque 10% des élèves de la région, soit environ 16.000 enfants.

"Les écoles qui enseignent en hongrois vont fermer", prédit ainsi Oleksandre Chpenyk, responsable de l'Institut ukraino-hongrois à l'université d'Oujgorod, qui forme des professeurs pour les lycées et collèges hongrois en Ukraine.

Au ministère de l'Education, on assure que cette loi va au contraire renforcer les droits des minorités, notamment en leur facilitant l'accès aux études supérieures.

Un bon score en ukrainien à l'examen de la fin d'études est en effet nécessaire pour l'admission à toute université. Or, ces dernières années, la Transcarpatie a eu les pires résultats de toutes les régions. Dans certains villages, 100% des élèves ont échoué.

- Abandonnés par Kiev -

"Dans notre école, la plupart des jeunes après la fin des études se joignent à l'entreprise familiale", note Mme Kesler. "Ceux qui souhaitent entrer dans une université ukrainienne trouvent les moyens" notamment en prenant des cours de langue privés, explique-t-elle.

Selon un rapport récent des experts du Conseil de l'Europe, les efforts de Kiev visant à promouvoir l'ukrainien sont "louables" mais les dispositions trop ambiguës de la loi doivent être clarifiées pour assurer la protection des minorités et la mise en oeuvre des nouvelles règles retardée.

Pour certaines voix critiques, les crispations vis-à-vis Kiev résultent des années d'abandon de cette région isolée après l'indépendance de l'Ukraine en 1991.

Car Budapest a souvent comblé ce vide: la Hongrie a fourni de l'aide financière et matérielle à sa diaspora en Transcarpatie, notamment dans le domaine de l'éducation, victime d'un sous-financement chronique.

"La Hongrie a donné des manuels d'histoire homologués par son ministère de l'Education" et non par Kiev, raconte M. Chandor. Selon lui, dans les écoles hongroises de la région, jusqu'à la moitié des manuels scolaires sont hongrois.

Ces tensions régionales interviennent à un moment délicat pour l'Ukraine, déjà en proie depuis 2014 à une guerre opposant armée nationale et séparatistes prorusses à l'Est.

La question du statut de la langue russe s'est révélée sensible au début du conflit, les rebelles accusant Kiev --qui réfute-- de vouloir limiter l'usage du russe parlé par une grande partie de la population.

Pour de nombreux Ukrainiens, promouvoir leur langue constitue un symbole de défense de leur identité après l'annexion de la Crimée par la Russie.

D'autant qu'en octobre dernier, des ultranationalistes hongrois ont manifesté devant l'ambassade ukrainienne à Budapest avec pour mot d'ordre l'"autodétermination pour la Transcarpatie".

Un mois plus tard, des nationalistes ukrainiens marchaient dans les rues de Beregové, arrachant le drapeau hongrois de la mairie et accusant Budapest de "soutenir le séparatisme".

"Il n'y a aucun sentiment séparatiste ici!", lance pourtant fermement à l'AFP Iosyp Rezesh, un responsable de l'administration régionale, lui même d'origine hongroise.

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