Financement libyen de la campagne Sarkozy : des opérations suspectes, mais pas de preuves

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Par Sophie DEVILLER - Paris (AFP)
Publié le 21 mars 2018 - 00:04
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L'ex-président français Nicolas Sarkozy (G) et l''ancien leader libyen Mouammar Kadhafi (D) lors d'une visite officielle de ce dernier au palais de l'Élysée le 10 décembre 2007
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© Eric Feferberg / AFP/Archives
L'ex-président français Nicolas Sarkozy (G) et l''ancien leader libyen Mouammar Kadhafi (D) lors d'une visite officielle de ce dernier au palais de l'Élysée le 10 décembre 2007
© Eric Feferberg / AFP/Archives

L'enquête sur un possible financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007 par la Libye de Mouammar Kadhafi connaît un coup d'accélérateur avec le placement en garde à vue mardi de l'ex-président français.

Des témoignages et des opérations suspectes alimentent les soupçons, mais les juges qui enquêtent depuis 2013 n'ont à ce jour pas obtenu de preuves.

- 50 millions d'euros? -

En mars 2011, alors que Paris vient de reconnaître l'opposition au régime libyen comme seul interlocuteur, un fils de Kadhafi, Seif al-Islam, lance les premières accusations: "il faut que Sarkozy rende l'argent". Sans fournir de preuve.

Un an plus tard, le site d'investigation Mediapart publie une note attribuée à l'ex-chef des renseignements Moussa Koussa, accréditant un financement d'environ 50 millions d'euros. Un faux, accuse Nicolas Sarkozy, dont la plainte s'est soldée par un non-lieu. Il s'est pourvu en cassation.

"Comment serait-il possible que le virement d'une telle somme n'ait laissé aucune trace?" s'était interrogé en 2013 l'ex-chef de l’État devant les juges enquêtant sur cette note. Pourquoi Kadhafi n'a-t-il avancé aucune preuve de son vivant ?, avait-il ajouté.

- Témoignages difficiles à étayer -

L'ex-chef des services secrets, Abdallah Senoussi, un avocat de l'ex-Premier ministre, Baghdadi al-Mahmoudi, l'ex-interprète de Kadhafi, Moftah Missouri, l'un des cousins du dictateur, Ahmed Kadhaf Al Dam, ou encore Zorah Mansour, l'ancienne responsable des "amazones" - ces femmes qui entouraient le Guide - ont relaté des versements. Mais les sommes évoquées varient de quelques millions à 50 millions.

Les juges ont aussi obtenu les carnets de Choukri Ghanem, ex-ministre du Pétrole, qui mentionne trois paiements en avril 2007. Il a été retrouvé noyé dans le Danube en 2012.

Autre personnage-clé du dossier, le sulfureux Ziad Takieddine. Dès 2012, l'homme d'affaires franco-libanais évoque un financement libyen. En novembre 2016, cinq jours avant la primaire de la droite française à laquelle participe Nicolas Sarkozy, ses nouvelles accusations font l'effet d'une bombe: il assure avoir remis entre fin 2006 et début 2007 cinq millions d'euros d'argent libyen au futur chef de l’État, alors ministre de l'Intérieur, et à son directeur de cabinet Claude Guéant. Takieddine est mis en examen.

- Opération suspectes -

. Les tableaux de Claude Guéant

Claude Guéant a perçu, le 3 mars 2008, 500.000 euros d'un avocat malaisien. Il invoque la vente de deux tableaux, sans convaincre les juges qui le mettent en examen pour "blanchiment de fraude fiscale".

Les enquêteurs remontent la piste: l’avocat a reçu deux jours plus tôt une somme identique provenant d'un homme d’affaires saoudien, Khaled Bugshan, également mis en examen. Et le banquier qui a effectué la transaction est en lien avec Bachir Saleh -argentier du régime de Kadhafi- et l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire aux versements entre Tripoli et l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy.

. Des détournements derrière une villa ?

Les investigations mènent à Mougins (sud), où une villa a été achetée dix millions d'euros en 2009 par le fonds souverain libyen géré par Bachir Saleh. Les enquêteurs soupçonnent Alexandre Djouhri d'en avoir été le dernier propriétaire et de l'avoir vendu à un prix très surévalué. Sous le coup d’un mandat d’arrêt, ce dernier est interpellé le 7 janvier à Londres. Son éventuelle extradition vers la France sera examinée en juillet.

Quant à Bachir Saleh, blessé par balles il y a un mois à Johannesburg où il s'était exilé, les juges se sont déplacés en avril 2017 pour l'interroger, mais il a exercé son droit au silence.

- Circulation d'espèces -

En septembre 2017, l'office anticorruption pointe dans un rapport une importante circulation d'espèces lors de la campagne de 2007: des sommes allant de 200 à 2.000 euros ont été distribuées à des membres de l'équipe du candidat. "Tout le monde venait chercher son enveloppe", a relaté une ex-salariée, doutant qu'une distribution aussi massive ait pu se faire sans que Nicolas Sarkozy ait été au courant.

Éric Woerth - trésorier de la campagne - et l'un de ses adjoints assurent que l'argent provient de dons anonymes, mais d'autres témoignages contredisent cette hypothèse.

Les magistrats ont-ils rassemblé de nouveaux éléments pouvant mettre en cause directement Nicolas Sarkozy ? A l'issue de sa garde à vue, qui peut durer jusqu'à 48 heures, il peut être remis en liberté, présenté à un juge en vue d'une éventuelle inculpation, ou convoqué ultérieurement.

L'un de ses proches, l'ex-ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, est entendu en audition libre.

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