Le Conseil constitutionnel appelé à supprimer le "délit de solidarité"

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Par Sofia BOUDERBALA - Paris (AFP)
Publié le 26 juin 2018 - 17:10
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Réunion de soutien le 30 mai 2018 à La Roche-de-Rame en faveur des trois militants suisses et italien poursuivis pour aide aux migrants
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© JEAN-PIERRE CLATOT / AFP
Réunion de soutien le 30 mai 2018 à La Roche-de-Rame en faveur des trois militants suisses et italien poursuivis pour aide aux migrants
© JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

"Les libertés fondamentales ne sont pas au service des gardes-barrières": c'est ce que soutiennent les militants portant secours aux migrants à la frontière franco-italienne, qui ont demandé mardi au Conseil constitutionnel d'abolir le "délit de solidarité" au nom du principe de fraternité.

"Que devient un pays, que devient une culture, une langue quand on peut y parler de +délit d'hospitalité+?", a attaqué Patrice Spinosi, l'avocat de Cédric Herrou, agriculteur devenu le symbole de la défense des migrants de la vallée de la Roya, et de Pierre-Alain Mannoni, un autre militant, citant le philosophe Jacques Derrida.

Le débat reste brûlant, au lendemain d'un mini-sommet destiné à aplanir les tensions entre Européens sur la question migratoire, après la crise de l'Aquarius, un navire humanitaire qui a erré des jours en mer avec 630 migrants à bord face au refus de l'Italie et Malte d'ouvrir leurs ports, avant d'accoster finalement en Espagne.

En France, des voix se sont élevées jusque dans la majorité pour déplorer que le gouvernement n'ait pas proposé d'accueillir le bateau, passé près des côtes corses.

Face aux "sages" du Conseil constitutionnel, les défenseurs des militants jonglent entre principes et jurisprudence, à quelque distance du terrain politique.

"Ce délit de solidarité n'est pas digne de notre droit. Aider de manière totalement désintéressée des hommes démunis ne devrait pas être passible de poursuites" dans un pays où le principe de fraternité est intégré à la devise de la République, a plaidé Me Spinosi.

Ses clients ont été condamnés en 2017 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour aide au séjour irrégulier: Cédric Herrou à quatre mois de prison avec sursis pour avoir fait passer la frontière à environ 200 migrants, et Pierre-Alain Mannoni à deux mois avec sursis, pour avoir accompagné à une gare trois Erythréennes.

Ils attaquent deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers: l'article 622-1 punit l'aide au séjour irrégulier, tandis que l'article 622-4 précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte".

- Ligne de démarcation -

Le texte précise que cette aide autorisée consiste "à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci".

Sans surprise, le représentant du Premier ministre a appelé à juger ces articles "conformes à la Constitution".

Dans le projet de loi "asile et immigration" adopté en avril à l'Assemblée nationale, "le délit de solidarité" a été assoupli, avec l'exemption de sanctions pour les militants qui apporteraient des soins, un hébergement et de la nourriture aux migrants sans qu'il y ait de contrepartie lucrative. Encore "très insuffisant" pour les défenseurs des droits de l'Homme.

"La volonté a été de supprimer le délit de solidarité. Mais le législateur, constate Me Spinosi, n'a pas réussi à poser cette ligne de démarcation pourtant simple entre l'action de passeurs qu'il faut évidement réprimer et celle d'humanistes désintéressés".

"Liberté, Egalité, Fraternité: ce sont des mots que nous avons appris à ânonner en les lisant sur le fronton des écoles", a rappelé Me Henri Leclerc, qui défend des militants qui encourent "dix ans de prison" pour avoir aidé des migrants et dont le procès à Gap a été suspendu dans l'attente de la décision des "sages".

Le pénaliste mène la charge, enrôlant le penseur de la démocratie moderne, Alexis de Tocqueville: "Quand je refuse d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander, j'en appelle à la souveraineté du genre humain."

"Vous avez la possibilité, dit-il aux "sages", de faire en sorte que ceux qui tendent la main puissent continuer à le faire. Rassurez-vous, ils ne seront pas très nombreux".

Décision le 6 juillet.

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