Alpinistes de l'Everest cherchent Sherpas aguerris

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Par Annabel SYMINGTON - Camp de base de l'Everest (Népal) (AFP)
Publié le 18 mai 2018 - 11:47
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Le 26 avril 2018 un camp de base sur l'Everest
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© Prakash MATHEMA / AFP/Archives
Le 26 avril 2018 un camp de base sur l'Everest
© Prakash MATHEMA / AFP/Archives

Dawa Sange Sherpa n'était pas censé monter au sommet de l'Everest. Pourtant, par manque de guides qualifiés, ce jeune porteur de haute montagne a dû l'an dernier emmener un client jusqu'au toit du monde. Et tous deux ont frôlé la mort dans cette expédition.

Dans la descente du retour, le froid polaire, la raréfaction d'oxygène due à l'extrême altitude et l'épuisement les ont soudain terrassés. Ils se sont effondrés un peu en contrebas du sommet et n'ont été retrouvés qu'après plusieurs heures, leur vie ne tenant plus qu'à un fil.

"Mon ami m'a dit +Il est mort+. Mais j'ai senti un faible pouls chez lui", raconte Ang Tshering Lama, le guide qui a découvert Dawa Sange Sherpa et l'alpiniste. Le secouriste a transporté le Népalais de 20 ans, inconscient, vers le bas pendant que d'autres aidaient son client. Tous deux souffraient de graves gelures.

Cet accident est révélateur de la pénurie de guides népalais expérimentés sur l'Everest. Leur contingent peine en effet à répondre à l'affluence croissante sur les flancs de la cime de 8.848 m, un engouement tiré par une compétition commerciale qui démocratise le prix du ticket d'entrée.

Le jeune Sherpa a survécu mais cette mésaventure a mis un terme définitif à sa courte carrière dans le monde de la montagne: tous ses doigts ont dû être amputés.

- Clients "radins" -

Des opérateurs bon marché, comme l'employeur de Dawa Sange Sherpa, permettent de s'offrir l'Everest pour "à peine" 20.000 dollars, soit moins d'un tiers de ce que facturent les agences les plus réputées.

Ethnie montagnarde dont le nom est devenu dans le langage courant synonyme de porteur ou de guide d'alpinisme, les Sherpas constituent la colonne vertébrale de l'industrie de l'himalayisme au Népal.

Ils sont réputés pour leurs capacités physiques à évoluer en très haute altitude, où la respiration se fait plus difficile. Leur corps acclimaté utilise en effet l'oxygène plus efficacement que celui des habitants des plaines, selon une étude scientifique britannique.

Mais la demande toujours grandissante de forces vives fait que trouver des Sherpas rompus au métier devient de plus en plus ardu. Résultat: les nouveaux arrivants peuvent se voir vite octroyer des responsabilités, et ce dans un environnement hostile à l'homme où la mort n'est jamais loin.

"Les jeunes Sherpas sont très forts et pensent qu'ils peuvent tout faire alors qu'ils ne le peuvent pas. Les vieux Sherpas vont lentement mais sûrement", dit Phurba Tashi Sherpa, chef sherpa de l'agence Himalayan Experience, monté 21 fois en haut de l'Everest.

Un Sherpa chevronné peut gagner jusqu'à 10.000 dollars durant la haute saison d'avril-mai, soit plus de 14 fois le salaire annuel moyen au Népal. Au bas de l'échelle salariale, les moins bien payés récolteront à peine 1.000 dollars pour deux mois d'un travail dangereux.

Pour soutenir leur niveau d'activité, certaines agences bon marché embauchent des guides locaux mal rémunérés et se montrent peu regardantes sur leurs qualifications. "C'est aussi la faute des clients s'ils ferment les yeux et se montrent radins", accuse le guide Ang Tshering Lama.

- Former les jeunes -

Parfois, le seul critère de recrutement se résume à "porter le patronyme de Sherpa", grince Dawa Steven Sherpa, de la société Asian Trekking. Cette dernière exige de ses employés qu'ils aient suivi une formation auprès de l'Association d'alpinisme du Népal.

Dawa Sange Sherpa, désormais traité dans un établissement spécialisé aux États-Unis, avait été à l'origine engagé comme porteur par l'agence Seven Summit Treks. Les néophytes commencent généralement de cette manière, avant d'être promus guides.

"J'étais dans la seconde équipe, celle où les Sherpas non-formés hissent normalement l'équipement et la nourriture du camp de base aux camps deux, trois et quatre", bivouacs relais situés plus en hauteur sur la montagne, raconte-t-il par téléphone à l'AFP.

Or Seven Summit Treks, qui est la plus grosse agence basée au Népal et qui propose des prix parmi les plus bas du marché, avait plus de 60 clients cette saison-là et nécessitait un Sherpa pour accompagner l'un d'entre eux. Son directeur Mingma Sherpa affirme que le porteur possédait les qualifications nécessaires et était déjà allé à la cime de l'Everest, ce que dément l'intéressé.

Neuf autres Sherpas de cette société ont dû être secourus cette année-là mais Seven Summit Treks se défend de toute négligence. "Un Sherpa peut monter au sommet cinq, huit fois mais parfois des problèmes arrivent. Ça provient du corps", avance Mingma Sherpa.

Ce dernier blâme les opérateurs concurrents qui, d'après lui, n'investissent pas sur les jeunes Sherpas pour les initier au métier: "Ils ne prennent que des Sherpas expérimentés. Ils ne veulent pas dépenser d'argent supplémentaire pour former de nouveaux Sherpas."

- Échappatoires -

Au-delà de cette guerre des prix, le manque de Sherpas traduit aussi un changement de générations.

Les membres de ce peuple participaient déjà aux cordées britanniques initiales lorsqu'elles ont commencé à s'attaquer à l'Everest dans les années 1920. Il a fallu attendre trois décennies, jusqu'en 1953, pour que le Néo-zélandais Edmund Hillary et le Népalais Tenzing Norgay deviennent les premiers hommes à se tenir à son sommet.

Nombre de Sherpas sont entrés dans cette industrie dans les années 1990, lorsque la libéralisation de l'ascension par le Népal a entraîné la naissance des expéditions commerciales et la multiplication des alpinistes sur les parois de l'Everest.

Or cette classe d'âge prend progressivement sa retraite. Certains Sherpas ont choisi d'aller s'installer dans d'autres pays montagneux, y monétisant leurs origines et leur expérience.

Originaires de villages isolés, ces Sherpas ont désormais gagné assez d'argent pour envoyer leurs enfants étudier dans la capitale népalaise Katmandou, voire en Inde ou aux États-Unis, et leur offrent ainsi des échappatoires à l'univers impitoyable de la montagne.

"La prochaine génération ne rejoindra pas ce métier, ils sont éduqués donc peuvent trouver d'autres emplois", constate Kami Rita Sherpa, guide sur l'Everest depuis 1994.

Lui-même est formel: jamais il n'autoriserait son fils à travailler sur l'Everest. "C'est un gagne-pain trop risqué."

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