Au Brésil, le malaise des enseignants face à Bolsonaro

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Par Louis GENOT - Rio de Janeiro (AFP)
Publié le 22 novembre 2018 - 07:45
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Une salle de cours d'université de l'État de Rio de Janeiro (UERJ) à Rio le 6 avril 2017.
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© TASSO MARCELO / AFP/Archives
Une salle de cours d'université de l'État de Rio de Janeiro (UERJ) à Rio le 6 avril 2017.
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Accusés d'endoctrinement, filmés en plein cours par des élèves: de nombreux professeurs brésiliens dénoncent des atteintes à leur liberté d'enseigner et craignent que leur situation n'empire avec l'arrivée au pouvoir du président d'extrême droite Jair Bolsonaro.

Les craintes ont été renforcées par le soutien appuyé du président élu au très controversé projet de loi du mouvement École sans parti, que ses détracteurs surnomment "loi du bâillon".

Le texte prévoit notamment de placarder une charte en six points doit dans toutes les salles de classe, avec entre autres une injonction aux enseignants à ne pas "utiliser leurs cours pour promouvoir leur préférences idéologiques, religieuses, morales ou politiques".

Selon le projet de loi, les "valeurs familiales doivent prévaloir sur l'enseignement scolaire pour ce qui est de l'éducation morale, sexuelle et religieuse".

Pour Taliria Petrone, députée élue du parti de gauche Socialisme et liberté (PSOL), ce texte revient à imposer "une pensée unique", visant à "maintenir les inégalités" béantes du Brésil.

"C'est une tentative de faire de l'école un lieu de formation d'une main-d'oeuvre bon marché, et non un lieu de stimulation d'une pensée critique, de pluralisme et de diversité", affirme à l'AFP l'élue de 33 ans, également professeure d'histoire.

Pour Luana Fonseca, enseignante de maternelle à Rio de Janeiro, les menaces à la liberté d'enseignement sont réelles.

"Nous sommes déjà en présence d'une forme d'auto-censure. Les professeurs ont peur. Une de mes collègues a déjà été filmée en classe parce qu'elle avait prononcé le mot 'idéologie'", explique-t-elle.

"C'est compliqué d'établir un dialogue avec les parents pro-Bolsonaro si on peut être poursuivi en justice à tout moment", ajoute-t-elle.

- "Propagande politique" -

L'argument paraît irrecevable à Miguel Nagib, qui a fondé le Mouvement école sans parti en 2004, outré qu'un enseignant de sa fille compare Che Guevara à saint François d'Assise.

"Tout ce que nous défendons est déjà inscrit dans les lois en vigueur dans notre pays. Nous respectons totalement la liberté d'enseignement, sachant qu'elle ne comporte pas la liberté pour le professeur de faire de la propagande politique", explique cet avocat de 58 ans.

"Si un professeur parle de 'loi du bâillon', il admet publiquement se sentir bâillonné parce qu'il ne peut pas faire de propagande", poursuit-il.

Déposé à la Chambre des députés en 2014, le projet de loi est bloqué dans une commission parlementaire depuis 2016. Le vote a été reporté à plusieurs reprises en raison de débats enflammés, avec des bordées d'insultes de part et d'autre.

Mais l'élection de Bolsonaro pourrait changer la donne, d'autant plus qu'elle a été accompagnée d'un raz-de-marée ultra-conservateur aux législatives.

Dans son programme officiel de gouvernement, il prônait un enseignement "sans endoctrinement ni sexualisation précoce".

- "Peur d'être dénoncé" -

Le soir même de la victoire du candidat d'extrême droite, une députée de son parti a déclenché un tollé en appelant sur Facebook les élèves à filmer leurs cours, sous prétexte que "beaucoup de professeurs endoctrineurs seront révoltés et enragés" par le résultat du scrutin.

Une enquête a été ouverte par le parquet fédéral pour incitation au "harcèlement moral" et "atteinte à la liberté d'enseignement".

Mais le président élu n'a pas tardé à voler au secours de la parlementaire. "Je ne vois aucun problème. Je trouve que le professeur doit être fier si un élève lui demande 'est-ce que je peux filmer votre cours pour le revoir à la maison?' Ils doivent être fiers de ça et ne pas s'en inquiéter", a-t-il affirmé lors d'un entretien à la chaîne Bandeirantes.

"Bolsonaro défend une école bâillonnée, qui n'aborde pas des thèmes sociaux importants pour la population. On parle d'école sans parti, mais ça devient une école orientée par un parti conservateur", dénonce Heleno Araujo, président du syndicat nationale des enseignants (CNTE).

Salvatore Pietro, qui enseigne la sociologie dans un collège de Duque de Caxias, banlieue pauvre de Rio, déplore un climat hostile.

"Nous devons peser chaque mot. Tout propos à connotation progressive est considéré comme gauchiste, idéologique. Nous sommes sur la défensive. J'ai peur d'être dénoncé", raconte-t-il.

"Bolsonaro, c'est une réaffirmation de l'intolérance, pas forcément par le biais de mesures politiques ou administratives, mais par le discours", dénonce-t-il.

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