Au Kenya, les gays s'en remettent à Dieu avant un jugement historique

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Par Fran BLANDY - Nairobi (AFP)
Publié le 20 février 2019 - 09:14
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Des membres de la communauté gay et lesbienne et leurs soutiens assistent à une messe à Nairobi, le 17 février 2019.
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© SIMON MAINA / AFP
Des membres de la communauté gay et lesbienne et leurs soutiens assistent à une messe à Nairobi, le 17 février 2019.
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Quelques bougies roses, jaunes et mauves passent entre les mains des fidèles, des membres de la communauté gay et lesbienne et leurs soutiens. A quelques jours d'un jugement historique qui pourrait décriminaliser l'homosexualité au Kenya, ils prient pour une issue favorable.

"Le seigneur est aux commandes", tonne une des responsables homosexuelles avant que ne résonnent les cris des dizaines de convives amassés dimanche dans une petite salle de réunion vieillissante et discrète, dans le centre de la capitale kényane Nairobi: "Victoire!".

La Cosmopolitan Affirming Church (CAC) est un des rares endroits où les membres de la communauté gay du Kenya peuvent échapper à l'hostilité de la société, d'ailleurs souvent exprimée depuis les autels religieux.

Mais les fidèles de la CAC espèrent qu'un jugement prévu vendredi aidera à l'évolution des mentalités: un tribunal doit se prononcer sur la constitutionnalité de deux lois criminalisant l'homosexualité.

"Lorsque cette loi sera cassée, ce sera comme une immense libération pour nous, comme si un poids était enlevé de nos épaules", soutient le pasteur David Ochara, co-fondateur de l'Eglise en 2013.

Ces lois kényanes datant de l'époque coloniale font écho à celles en vigueur dans 34 autres pays d'Afrique où l'homosexualité est illégale. La peine de mort est même prévue en Mauritanie, au Soudan, dans le nord du Nigeria et certaines parties de la Somalie.

- Police des chambres -

Une section du code pénal kényan prévoit que quiconque a une "connaissance charnelle... contre l'ordre naturel" peut être emprisonné 14 ans, tandis qu'une autre prévoit cinq ans de prison pour les "pratiques indécentes entre hommes".

"La loi précise +en public ou en privé+, ce qui permet à la police d'entrer dans nos chambres pour enquêter sur ces crimes", affirme Eric Gitari, co-fondateur du Conseil national des droits de l'homme pour les gays et lesbiennes (NGLHRC), un des signataires de l'action en justice.

Imani Kimiri, de l'équipe juridique du NGLHRC, a précisé à l'AFP que son bureau a défendu des accusés dans 15 affaires conduites par le ministère public en 2018 et affirme ne pas se souvenir de quand date la dernière condamnation pour homosexualité au Kenya.

En 2014, un rapport gouvernemental visant à apaiser les voix les plus anti-gays au Parlement évoquait 600 poursuites menées en trois ans, mais M. Gitari estime que 70% de ces affaires n'avaient rien à voir avec l'homosexualité et concernait des viols d'enfants, des cas de zoophilie, voire des infractions au code de la route.

Au delà des poursuites, "à cause de cette loi, on craint le chantage, l'extorsion, la violence", raconte Arthur Owiti, qui joue du piano à l'église de la CAC.

En 2017, le NGLHRC a de fait enregistré une hausse des cas de chantage: des gens utilisant des applications de rencontres telles que Grindr sont victimes d'extorsion, souvent de la part de groupes criminels liés à la police kényane.

- Optimisme des activistes -

"Lorsqu'on a fixé un rendez-vous via internet, il faut poser des questions de sécurité afin de ne pas tomber dans un piège", dit M. Owiti.

Selon M. Gitari, impossible lorsqu'on est expulsé d'une école, licencié ou violenté pour son orientation sexuelle d'aller demander justice car cela implique de "confesser un crime pour lequel on encourt 14 ans de prison".

Il remarque cependant que plusieurs récentes décisions de justice incitent à l'optimisme en vue de la décision de vendredi, qui fera sans nul doute l'objet d'un appel.

En mars 2018, la Haute Cour de Nairobi a interdit l'examen anal pour les hommes soupçonnés d'être homosexuels. En septembre de la même année, un tribunal a autorisé la diffusion pendant sept jours du film kényan Rafiki, qui raconte un amour lesbien, après son interdiction initiale.

Le jugement de vendredi s'inscrit dans un contexte africain plus large.

Les lois anti-homosexuels ont été abolies en 2015 au Mozambique tandis que l'Angola a décriminalisé l'homosexualité en janvier. Au Botswana, une procédure judiciaire contre ce type de loi devrait être entendue en mars.

- Les Kenyans prêts au débat -

"Politiquement, c'est une chance pour les Etats africains d'affirmer les fondements d'une justice inclusive pour les LGBT, sans forcément céder aux pressions politiques, qui sont extérieures", estime M. Gitari.

Durant les audiences, des experts kényans ont présenté l'histoire de l'homosexualité dans le pays, souvent décrite par des politiques comme une pratique importée de l'étranger, et ont mis en avant une décision ayant décriminalisé l'homosexualité en Inde en 2018.

David Ochara pense que les Kényans sont prêts pour un débat sur l'homosexualité.

Il s'est allié avec des pasteurs partageant son point de vue et participe à des émissions de radio où il doit souvent essuyer des propos homophobes en prônant la tolérance envers les minorités.

En attendant, la vie d'homosexuels comme Arthur Owiti ne comporte que de brefs moments de répit, tels le service à l'église de la CAC. Avant, dit-il, il fréquentait une église "dans laquelle le message chaque dimanche était que les homosexuels, les lesbiennes, n'étaient pas aimés de Dieu".

Entre deux morceaux de gospel, les pasteurs de la CAC donnent d'ailleurs des conseils de sécurité en amont du jugement de vendredi. "Je sais que vous êtes fabuleux, mais ne faites pas de vous des cibles faciles", suggère le pasteur Ochara. "Il n'est pas nécessaire de porter des plumes aux couleurs de l'arc-en-ciel dans vos cheveux".

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