Aux Etats-Unis, le "blackface" déchaîne toujours les passions

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Par Inès BEL AIBA - Washington (AFP)
Publié le 31 octobre 2018 - 16:41
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Megyn Kelly au Fortune Most Powerful Women Summit à l'hôtel Ritz Carlton le 2 octobre à Laguna Niguel, en Californie
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© Phillip Faraone / GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP/Archives
Megyn Kelly au Fortune Most Powerful Women Summit à l'hôtel Ritz Carlton le 2 octobre à Laguna Niguel, en Californie
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Megyn Kelly ne voyait pas en quoi se grimer en "Noir" pour Halloween posait problème. Après un déluge de réactions outrées accusant la célèbre présentatrice américaine de déni de racisme, elle a perdu son émission et suscité un vaste débat.

Cette controverse autour du "blackface" est loin d'être nouvelle: chaque année pour Halloween des Américains, notamment des étudiants, se badigeonnent la peau d'une épaisse couche de fond de teint sombre pour incarner des Noirs: Barack Obama, Kanye West, Beyoncé, Diana Ross ou encore des joueurs de basketball. Des personnalités qu'ils admirent souvent.

Or le "blackface" n'est pas neutre, affirme à l'AFP David Leonard, professeur à la Washington State University et auteur de plusieurs articles sur le sujet.

Cette pratique aujourd'hui très marginale et depuis longtemps indésirable remonte en effet aux "minstrel shows" nés dans la première partie du 19ème siècle, des spectacles pendant lesquels des Blancs se noircissaient le visage pour jouer des Noirs aux yeux écarquillés, toujours présentés comme naïfs, ignorants, paresseux et souvent affublés de caractéristiques animales.

"Le blackface a été utilisé pour dépeindre les Afro-Américains comme n'étant pas humains, pour justifier et normaliser la violence" à leur égard, dit M. Leonard. "L'histoire du blackface, c'est une histoire de violence, de diabolisation, de racisme".

- "Erreur terrible" -

Plusieurs célébrités ont été épinglées ces dernières années pour avoir arboré un "blackface" et ont dû s'excuser. Megyn Kelly a malgré tout fustigé "la police des costumes" dans son émission du 23 octobre, à une semaine de la grand-messe du déguisement aux Etats-Unis, fêtée ce mercredi.

"Je dois vous prévenir", a lancé à son public celle qui avait déjà fait polémique lorsqu'elle était encore l'une des vedettes de la chaîne conservatrice Fox, en martelant que Jésus et le Père Noël étaient "Blancs et c'est tout".

"Je suis gonflée à bloc sur le sujet des costumes d'Halloween ce matin. Franchement, le politiquement correct dépasse les bornes", a-t-elle ajouté, en expliquant ne pas comprendre pourquoi le "blackface" était choquant.

En banalisant une pratique pourtant régulièrement dénoncée dans le pays, elle provoque aussitôt un tollé. Les réseaux sociaux s'enflamment et plusieurs de ses confrères condamnent ses propos.

"Elle doit des excuses (...) aux personnes de couleur à travers le pays", assène Al Roker, présentateur météo noir sur la même chaîne qu'elle, NBC. "Elle a fait une erreur terrible", juge de son côté la journaliste et présentatrice noire Gayle King.

Face à l'ampleur des réactions, Megyn Kelly s'excuse dans un communiqué auprès de ses collègues. Le lendemain, contrite et les larmes aux yeux, elle s'excuse encore, cette fois à l'antenne.

Mais le scandale est trop grand -et Megyn Kelly était déjà en difficulté en raison d'audiences déclinantes. NBC annonce qu'elle ne présentera plus le "Today Show".

- "Racisme ordinaire" -

Pour David Leonard, les propos de Megyn Kelly sont le symptôme du déni persistant, de la part de beaucoup d'Américains, d'une partie de leur passé, ainsi que d'"un privilège blanc bien ancré" qui leur permet d'ignorer des pans entiers d'une histoire douloureuse.

"Il s'agit d'un refus de se confronter à l'histoire du racisme dans ce pays et (de reconnaître) que la race a encore un impact de nos jours", dit-il.

"En tant que Blancs, nous devons entendre les Afro-Américains qui disent +c'est blessant, ça fait mal, ça provoque non seulement une douleur émotionnelle mais ça a aussi des conséquences (...) que l'on ressent dans le racisme ordinaire, dans les inégalités persistantes" aux Etats-Unis, ajoute-t-il.

Sans compter que le climat politique actuel ne facilite pas les choses, juge-t-il, avec un président --Donald Trump-- qui promeut selon lui un discours de "victimisation des Blancs" et empêche d'avancer sur ces questions.

Aujourd'hui encore, "nous parlons de monuments et de statues confédérés", renchérit sur NBC le commentateur noir Roland Martin, en référence aux manifestations qui ont eu lieu contre le retrait de certaines de ces statues, des symboles du passé raciste et esclavagiste du pays.

L'affaire Megyn Kelly "devrait marquer le début d'un discussion. Nous devons avoir un moment de réflexion dans ce pays", ajoute-t-il sur la chaîne ABC.

Signe de la sensibilité du sujet, une simple photo en "blackface" sur les réseaux sociaux peut parfois prendre d'énormes proportions. Selon plusieurs médias américains, une infirmière vient ainsi d'être licenciée pour s'être maquillée en Beyoncé.

Mais que ces débats n'empêchent pas les gens de se déguiser comme ils le veulent, prévient Roland Martin.

"Vous pouvez vous déguiser en Diana Ross", dit-il. "Juste, ne vous mettez pas de fichue peinture noire sur le visage".

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