Compter les hommes par millions : une démographe au service de la démocratie

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Par AFP
Publié le 20 septembre 2017 - 12:25
Mis à jour le 25 septembre 2017 - 10:35
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La démographe Nancy Stiegler, qui conseille le bureau pakistanais des statistiques, photographiée le
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© FAROOQ NAEEM / AFP/Archives
La démographe Nancy Stiegler, qui conseille le bureau pakistanais des statistiques, photographiée le 19 juillet 2017 à Islamabad
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Nancy Stiegler a participé au décompte de près d'un demi-milliard de personnes, dans des déserts africains, des archipels du Pacifique, des mégapoles anarchiques d'Asie. La démographie, c'est pour elle une mission: "avoir des chiffres fiables, c'est la base d'une démocratie".

Difficile de louper sa rayonnante chevelure blond cendré au milieu des crânes dégarnis et têtes sagement voilées des bureaux du PBS, le bureau des statistiques du Pakistan, où elle a posé ses valises cette année le temps d'un titanesque recensement, le premier depuis deux décennies.

Cette Française fait partie de la poignée d'experts démographes qui se déplacent pour épauler les pays se lançant dans des opérations de recensement particulièrement délicates -- dans un contexte de conflit ou bien après un très long laps de temps.

Son travail consiste à conseiller les démographes pakistanais sur la sensibilisation de la population et des élus en amont, la formation des fonctionnaires chargés de remplir les questionnaires, ou encore la façon de repérer les éventuelles données truquées ou manquantes et de rectifier le tir.

Au Pakistan, pays très conservateur et de culture patriarcale, il a fallu enseigner aux recenseurs à poser les questions nécessaires pour avoir l'âge le plus précis possible des habitants, ou s'assurer que toutes les femmes soient décomptées.

En effet, certaines Pakistanaises hésitent à répondre elles-mêmes aux recenseurs presque toujours masculins, tandis que certains hommes répugnent à révéler le nom des femmes de leur foyer à un inconnu. D'où le risque de lacunes dans les chiffres.

"Statistiquement, on peut corriger (...) la sous-estimation des femmes jusqu'à un certain point", explique Mme Stiegler.

Les résultats préliminaires de l'enquête qui a mobilisé plus de 300.000 personnes au printemps ont été publiés en août, mais leur analyse détaillée va encore nécessiter plusieurs mois.

Pakistan, mais aussi Nigeria, Soudan, Birmanie, Ghana, ou encore Timor Leste, dans ces pays, "le recensement est un exercice très sensible, un outil politique et économique qui peut empêcher les politiques de faire n'importe quoi".

"Le recensement y a d'autant plus d'impact qu'il joue sur la carte électorale -- qui ne dépend pas du registre électoral comme dans nombre d'autres pays -- et sur la redistribution des ressources, souvent faite en fonction de la population et non des impôts collectés sur une zone", explique-t-elle.

Des chefs tribaux et des élus ont exprimé leur mécontentement après les premiers résultats. En avril, un attentat-suicide revendiqué par les talibans avait même visé une équipe du recensement, tuant sept personnes.

-'Adrénaline' -

Formée à la démographie à Bordeaux et au Max Planck Institute de Berlin, l'un des centres de recherche les plus reconnus en la matière, elle a fondé en Afrique du Sud l'Institut d'étude de la population de l'université du Cap occidental, qu'elle dirige toujours.

Détachée le temps de ses missions, elle y retourne pendant ses vacances pour dispenser des cours intensifs de démographie -- périlleux équilibre entre vie universitaire et travail de terrain.

"J'aime ce travail de terrain (...) peut-être un peu par goût du risque", sourit-elle, racontant s'être trouvée un jour entourée par une foule de recenseurs en furie, la menaçant pour réclamer la paie qui ne leur avait pas été versée au Nigeria.

"Le meilleur moment c'est l'adrénaline des premiers jours du recensement, quand on voit surgir les premiers problèmes, boycott etc, et qu'il faut réagir vite".

Elles ne sont actuellement que deux femmes expertes techniques des recensements complexes au monde.

"Le handicap, c'est qu'il faut se battre un mois pour passer de la blonde facile à rouler à celle qui ne lâche rien, d'autant que la plupart de mes interlocuteurs (fonctionnaires, élus, etc NDLR) ont 20 ans de plus que moi", reconnaît Nancy.

"Mais une fois que tu t'es faite entendre, cela devient un avantage, il y a moins de tendance à copiner, la relation de confiance est mieux établie".

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