Dans un bidonville du Caire, une école poursuit le combat de Soeur Emmanuelle

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Par Aziz EL MASSASSI - Le Caire (AFP)
Publié le 19 octobre 2018 - 12:18
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L'école Mahaba, fondée par Soeur Emmanuelle, tente de sauver de la pauvreté et de l'illettrisme des enfants du bidonville de d'Ezbet el-Nakhl, le 13 octobre 2018
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© Mohamed el-Shahed / AFP
L'école Mahaba, fondée par Soeur Emmanuelle, tente de sauver de la pauvreté et de l'illettrisme des enfants du bidonville de d'Ezbet el-Nakhl, le 13 octobre 2018
© Mohamed el-Shahed / AFP

Au milieu de ruelles en terre cahoteuses et jonchées d'ordures, l'école Mahaba fondée par Soeur Emmanuelle dans un bidonville du Caire tente, 10 ans après sa mort, de sortir des enfants de l'illettrisme et de la pauvreté dans une Egypte en crise.

Dans ce quartier des chiffonniers d'Ezbet el-Nakhl, à majorité copte, les voix des écoliers retentissent entre les quatre murs d'une cour impeccable, qui les isolent des abris de fortune de taule et de boue et des sacs de déchets ramassés dans toutes les rues du Caire.

Fondée en 1988 par la religieuse française, l'école Mahaba accueille aujourd'hui quelque 3.000 élèves de quatre à 15 ans, selon sa directrice et co-fondatrice Soeur Demiana, dans une mégapole d'au moins 20 millions d'habitants.

"J'ai sillonné le quartier avec (Soeur Emmanuelle) pour dire aux gens d'amener leurs enfants à l'école", se souvient la religieuse en robe et voile gris, dans son bureau, où trônent un portrait de son ancienne compagne de route et un drapeau égyptien.

Soeur Emmanuelle avait côtoyé les chiffonniers qui ramassent les ordures à travers la gigantesque agglomération du Caire, avec des moyens rudimentaires dont des charrettes en bois tirées par des chevaux ou des ânes rachitiques. Ils les trient ensuite dans des ateliers appartenant à de riches propriétaires.

- "Elle vivait parmi eux" -

"Les gens l'appréciaient", assure Soeur Demiana. "Elle vivait parmi eux (...) et exactement comme eux dans des conditions difficiles avec la puanteur, les maladies", insiste la religieuse qui confie avoir eu du mal à s'adapter à cet environnement.

Aujourd'hui, 10 ans après la mort de Soeur Emmanuelle et plus de 20 ans après son départ d'Egypte, les chiffonniers sont toujours là, mais dans les ruelles d'Ezbet el-Nakhl, les portraits de la vierge Marie et de l'ancien pape copte orthodoxe Chenouda III - porté aux nues par la communauté - ne laissent aucune place à la religieuse française.

Il faut pénétrer dans l'école pour voir son image placardée dans la cour de récréation, lors d'une visite organisée par son association Asmae.

"Nous avons travaillé et dormi ici, c'est comme si nous avions construit l'école brique après brique", se souvient avec fierté Mirvat Hazkial, fille du premier gardien de cet établissement où elle a elle-même été scolarisée. A 33 ans, elle y enseigne aujourd'hui le dessin.

Mais dans une Egypte frappée par une crise économique et une reprise en main sécuritaire après la révolte de 2011 ayant chassé Hosni Moubarak du pouvoir, la tâche de l'école est ardue.

"Tout est devenu cher, les gens se sentent sous pression", constate Soeur Demiana, évoquant des enfants victimes de malnutrition et des parents peinant à payer vêtements et fournitures scolaires.

Depuis que l'Egypte a décidé, en novembre 2016, de laisser flotter sa monnaie, cette dernière a perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar et l'inflation atteint des niveaux très élevés. Engagée dans des réformes en échange d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI), Le Caire a procédé à des coupes drastiques dans les subventions étatiques.

Selon les chiffres officiels, jugés en-deçà de la réalité, 27,8% des Egyptiens vivaient sous le seuil de pauvreté en 2015. Mais aucune statistique sur ce sujet très sensible n'a été rendue publique depuis 2016, lorsque la crise a éclaté.

A Mahaba, les familles versent des frais d'inscription annuels, 3.000 livres (145 euros) en totalité ou partiellement selon leurs revenus. Les plus démunis en sont exemptés.

L'école est financée par les contributions des familles, les dons individuels, ainsi que les subventions d'Asmae qui sponsorise environ 200 élèves. Sur l'ensemble du Caire, l'association affirme aider environ 3.500 enfants de quartiers populaires.

L'école Mahaba bénéficie aussi de petites exonérations fiscales.

- Contrôle de l'État -

"Notre premier défi reste l'argent", reconnaît Sabah Sobhi, la très enthousiaste institutrice travaillant à Mahaba depuis sa création.

"La vie est devenue très chère et des familles se donnent du mal pour que leurs enfants s'instruisent", poursuit-elle.

Dans un contexte sécuritaire tendu, "l'autre défi est la peur (...), la peur de l'avenir, des évènements que l'on subit", confie Mme Sobhi.

L'établissement a dû se mettre à offrir un "soutien psychologique" à des élèves traumatisés par les violences qui se sont multipliées dans le pays depuis 2011, dont l'intervention meurtrière de l'armée contre des manifestants coptes et de multiples attentats antichrétiens revendiqués par le groupe Etat islamique (EI).

Asmae n'est pas épargnée non plus par la méfiance du régime du président Abdel Fattah al-Sissi à l'égard des associations bénéficiant de financements étrangers.

Une loi controversée de 2017, en attente d'un décret d'application, impose un contrôle très étroit de l'Etat sur leurs activités. "Nous sommes tous inquiets (...) par son application", confie Sherif Abdelaziz, représentant d'Asmae en Egypte.

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