"Dear My Genius", l'obsession sud-coréenne pour l'éducation

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Par Jung Hawon - Busan (Corée du Sud) (AFP)
Publié le 07 octobre 2018 - 10:53
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Des Sud-Coréennes installent des bougies pour le succès de leurs proches à l'examen annuel d'entrée à l'université, dans un temple bouddhiste de Séoul le 23 novembre 2017
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© JUNG Yeon-Je / AFP/Archives
Des Sud-Coréennes installent des bougies pour le succès de leurs proches à l'examen annuel d'entrée à l'université, dans un temple bouddhiste de Séoul le 23 novembre 2017
© JUNG Yeon-Je / AFP/Archives

Une jeune réalisatrice de Corée du Sud a filmé sa propre famille pour illustrer l'obsession de cette société ultra-concurrentielle pour l'éducation et les ravages qu'elle provoque chez les enfants, y compris sa propre soeur.

"Dear My Genius" ("Mon très cher génie", ndlr), le documentaire de Koo Yun-joo, a été diffusé samedi en avant-première au Festival international du film de Busan (Biff), plus grand festival de cinéma d'Asie. Il suit la soeur âgée de sept ans de la réalisatrice, ainsi que sa mère, qui veut faire de la petite fille une enfant "douée".

Les autorités éducatives et les écoles de Corée du Sud testent régulièrement l'aptitude des enfants dans les matières clés, décernant aux élèves "doués" des certificats considérés comme des avantages considérables pour les dossiers d'admission à l'université.

Les jeunes Sud-Coréens passent le plus clair de leur enfance et de leur adolescence à étudier, ce qui consiste bien souvent à apprendre par coeur, afin de pouvoir entrer dans les universités d'élite, sésames d'une carrière et d'un mariage réussis.

Le système éducatif est souvent cité à l'étranger comme un modèle de méritocratie rigoureuse mais la pression subie par les enfants est accusée d'être à l'origine de taux de dépression et de suicide chez les adolescents parmi les plus élevés du monde.

Le documentaire permet de toucher la réalité d'une dynamique familiale fréquente en Corée du Sud, et d'une concurrence exacerbée assimilée par certains à de la maltraitance systématique.

Pour parvenir au statut d'enfant prodige, la soeur de la cinéaste, Yun-yung, passe des heures après l'école dans des "hagwons" ou instituts privés à étudier l'anglais, le chinois, l'informatique ou la rédaction.

- Gamine colérique-

Sa mère tient une liste de tous les livres lus par sa fille depuis l'âge de cinq ans. Elle emprunte 26 livres tous les quinze jours à la bibliothèque, soit le maximum autorisé. Elle voudrait que Yun-yung lise chaque année des milliers de livres.

"J'ai l'impression de réussir quelque chose en regardant ça", dit la mère en actualisant sa liste avec des ouvrages qui vont de livres d’auto-perfectionnement pour enfants aux biographies de gens célèbres.

Alors qu'elle mémorise jusque tard dans la nuit des mots d'anglais ou résout des problèmes de mathématiques complexes, la fillette éclate en sanglots, pique des crises ou développe des maux de tête soudains. Alors sa mère la câline ou la gronde pour qu'elle continue.

La réalisatrice de 26 ans, elle-même une ex "enfant douée" en sciences, s'oppose à sa mère sur l'éducation de sa soeur. Apprendre par coeur ou réussir des tests ne lui a pas permis de savoir ce qu'elle voulait faire dans la vie, fait-elle valoir.

Yun-yung évoque régulièrement son rêve de "devenir une enfant douée" et "de fréquenter la meilleure université" mais elle ne sait pas expliquer pourquoi.

"Je voyais que ma mère voulait éduquer Yun-yung comme elle l'avait fait pour moi, ma soeur crouler sous la pression, se transformer en gamine colérique et dure. Je voulais faire quelque chose pour elle", explique Koo Yun-joo à l'AFP.

"Maman voulait aussi changer (...). Mais c'est plus facile à dire qu’à faire quand on vit dans cet environnement, où tous les autres parents et leurs enfants font la course pour arriver en tête".

- "Première classe 1" -

Dans la cour de récréation de l'école primaire de Yun-yung, on peut lire le slogan suivant: "seuls ceux qui endurent la souffrance peuvent sourire".

Dans la plupart des quartiers résidentiels, d’innombrables "hagwons" promettent aux parents de faire de leur progéniture "des enfants plus spéciaux que les autres".

Une autre soeur de Koo, enseignante en primaire, raconte que la plupart de ses élèves sont encore plus malheureux que Yun-yung. Le meilleur élève de sa classe a reconnu avoir des pensées suicidaires.

La famille décide finalement de relâcher la pression. Yun-yung a moins de cours privés et moins de livres à lire. Sa mère, une femme au foyer, décide de prendre un peu plus de temps pour elle.

Une animation du documentaire montre des figures de formes et de couleurs différentes sur un tapis roulant en train de devenir identiques, avec la mention "première classe 1" frappée sur la poitrine.

"Je voulais que les gens voient ce qui manque à nos enfants, la capacité de s'amuser, de jouer avec les autres, ou de réfléchir tranquillement sur eux-mêmes, avec cette quête aveugle de l'excellence à tout prix", conclut Koo.

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