En Nouvelle-Calédonie, le "broussard" Jean-Jacques Delathière préfère le "vivre ensemble" à l'indépendance

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Par Cécile AZZARO - La Foa (France) (AFP)
Publié le 02 novembre 2018 - 12:57
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Des membres du parti Calédonie ensemble lors d'un meeting avant le référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le 30 octobre 2018 à Nouméa
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© Theo Rouby / AFP/Archives
Des membres du parti "Calédonie ensemble" lors d'un meeting avant le référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le 30 octobre 2018 à Nouméa
© Theo Rouby / AFP/Archives

Il votera non dimanche au référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, qu'il considère comme "un mauvais moment à passer". Le "broussard" Jean-Jacques Delathière, descendant de bagnard installé à La Foa (ouest) depuis quatre générations, préfère le "vivre ensemble" avec ses voisins et amis kanak.

Revenant vendredi de la messe où il "était "le seul blanc", Jean-Jacques Delathière se plait à raconter son histoire familiale: son arrière-grand-père, originaire "de Saint-Mathieu, à côté de Limoges", a été déporté en 1884. "Il a assuré sa piaule, et le soir même il l'a brûlée pour toucher l'assurance", explique-t-il en rigolant.

"Je suis descendant de bagnard et je n'en ai pas honte", explique cet exploitant agricole, appelé "broussard" sur le Caillou, en référence à ceux qui habitent la "brousse", la campagne. "Pour mes parents c'était tabou" car "c'était très mal perçu de se marier avec un descendant de bagnard".

Mais depuis, "avec l'évolution du pays, on a été reconnu comme +victimes de l'histoire+", se souvient-il. En 1983, un "droit à l'indépendance" est reconnu aux Kanak, qui en retour acceptent la légitimité de la présence sur la terre calédonienne d'autres communautés "victimes de l'histoire", comme les descendants de bagnards.

"Kanak, blancs, Javanais, etc, on a toujours vécu ici main dans la main", dit cet homme de 69 ans, qui arbore un chapeau de cow-boy, mais préfère désormais le quad aux chevaux pour aller voir ses 250 têtes de bétail, dans son exploitation de 500 hectares.

Le "destin commun" prôné par l'accord de Nouméa en 1998, "on l'a toujours vécu. On découvre le mot, mais on l'a toujours pratiqué, j'allais à l'école avec mes amis kanak, on était frères", ajoute l'éleveur.

Seule période de rupture, "au moment des événements" dans les années 84-88 de quasi guerre civile entre Kanak et Caldoches. "Ici on n'a pas été trop imprégné", sauf lorsque Eloi Machoro, un leader Kanak indépendantiste, est abattu le 12 janvier 1985, "à 5 km de La Foa par le GIGN".

"On ne savait pas trop ce qui se passait. Je gardais ma maison la nuit, assis sous un arbre avec mon fusil, la peur au ventre. Tu imagines dans ta tête que le mec qui va venir te tuer c'est un copain à toi", se souvient-il.

- "Encore beaucoup à faire" -

Il assure qu'il "fallait faire" les efforts de rééquilibrage économique et social envers les Kanak, décidés par les accords de Matignon (1988) et Nouméa (1998). "Un grand pas a été fait, mais il y a encore beaucoup à faire", reconnaît-il, "comme les aider à se lancer dans l'agriculture".

Ce robuste gaillard, père de quatre enfants, a fait graver au fronton de sa ferme-auberge, la devise "ensemble tout est possible", en français et en kanak. "Quand on va en tribu, on fait la coutume, c'est normal", dit cet élu de La Foa, très fier de la présence de toutes les tribus kanak du secteur pour le mariage de sa fille, la semaine dernière.

Membre du parti Calédonie Ensemble (droite modérée), il assume de voter non dimanche. "La France est un pays qui tient la route, couper le lien, il y a un risque", estime-t-il, craignant aussi pour la capacité du pays à maintenir le "vivre ensemble".

"Ma terre, c'est ma retraite, c'est mon capital. Demain, je perds ça, je n'ai plus rien. Ma vie c'est ma terre, qui coule dans mes veines", explique encore ce "caldoche de base", comme il se revendique.

Mais son fils Jean-Michel, exploitant agricole converti dans la culture de l'igname, tubercule omniprésente dans la coutume kanak, n'a "pas peur": "les politiques indépendantistes ne parlent pas de mettre les gens dehors ! Parce que s'ils mettent une partie de la population dehors, le système sera encore plus difficile, moins viable".

La terre, "ça fait depuis 1981 qu'on y travaille. Je pense que les Mélanésiens du coin qui ont partagé cet espace depuis ces années ne veulent pas nous voir partir, tout brûler. Aujourd'hui, on n'est plus dans cette mentalité-là", assure-t-il.

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