En Roumanie, survivre sur une décharge hors-la-loi

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Par Mihaela RODINA - Cluj-Napoca (Roumanie) (AFP)
Publié le 31 mars 2019 - 11:14
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La décharge roumaine de Pata-Rat, le 7 février 2019
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© Daniel MIHAILESCU / AFP
La décharge roumaine de Pata-Rat, le 7 février 2019
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Des mètres d'ordures s'entassent sur la décharge roumaine de Pata-Rat, l'odeur est pestilentielle, des enfants jouent parmi les immondices : cette "bombe écologique" aurait dû fermer il y a des années. Mais il s'agit aussi de l'unique gagne-pain de centaines de familles.

Lorsqu'en 2010, Linda Zsiga et ses proches ont été chassés de la maison qu'ils occupaient illégalement à Cluj-Napoca, une grande ville de l'ouest de la Roumanie, c'est en bordure de la décharge municipale qu'ils ont été relogés par la mairie, dans un conteneur sans sanitaire.

Sur les collines de Pata-Rat, dans la banlieue de Cluj, il ont retrouvé des dizaines d'autres familles, majoritairement issues de la communauté rom, vivant dans des abris de fortune. Certaines ont, comme les Zsiga, fait l'objet d'une expulsion, d'autres ont installé leur misérable foyer parmi les ordures, faute de solution alternative.

Militante d'un petit parti de gauche roumain, Demos, Linda Zsiga a fait de la fermeture de la décharge et du relogement des habitants l'un de ses combats. Elle espère se faire entendre des formations politiques en lice pour les élections européennes du 26 mai.

"Personne ne devrait vivre ici, dans de telles conditions inhumaines", s'insurge cette brune aux longs cheveux, âgée de 37 ans.

La Commission européenne réclame aussi la fermeture de Pata-Rat depuis des années et a prévu des fonds pour mettre en place un nouveau système de gestion des déchets. La mairie de Cluj, la cinquième ville du pays aux élégants édifices austro-hongrois, promet d'obtempérer mais reporte toujours le passage à l'acte.

- Le "Dallas" des ordures -

Cette décharge "est une bombe écologique déjà amorcée, une explosion n'est qu'une question de temps", s'insurge Sandor Körösföy, de l'association écologiste Floarea de colt.

Il décrit "des déchets toxiques infiltrés dans le sol" ou encore des ordures qui prennent feu "plusieurs fois par an", répandant leurs cendres toxiques sur l'herbe consommée par le bétail.

Pourtant, de nombreux habitants de Pata-Rat craignent une mise à l'arrêt du site de stockage et l'élimination de leur maigre mais unique gagne-pain. Des familles entières vivent du tri de matériaux recyclables extraits à mains nues de deux collines d'ordures hautes comme un immeuble de cinq étages, ont constaté des journalistes de l'AFP.

"Nous avons eu de la chance, mais maintenant c'est fini", confie Claudia, 68 ans, prédisant une fermeture.

Habitants depuis une quarantaine d'années d'une partie du site ironiquement baptisée "Dallas", elle et son mari ont fait vivre leurs deux enfants en revendant cartons, bouteilles en plastique et canettes en aluminium.

"Nous vivions comme nous le pouvions, au jour le jour, sans plus. Mais qu'allons nous faire dorénavant ?", se désole-t-elle.

Récemment, les autorités de Cluj ont finalement recouvert d'une couche de terre le plus ancien dépôt d'ordures du site et restreint l'accès à deux dépôts plus récents.

La Roumanie, considérée par Bruxelles comme un mauvais élève en termes de gestion des déchets, a été condamnée en 2018 par la Cour de justice de l'UE pour ne pas avoir fermé 68 décharges publiques créant un risque pour la santé et l'environnement.

- L'UE comme salut -

Ion, qui vit avec ses deux fils adolescents dans un abri de fortune à une centaine de mètres d'une colline de déchets, espère qu'il décrochera un emploi à la voirie municipale. "Sinon, je ne sais pas comment nous allons faire pour survivre", dit-il.

Nombre de ses voisins blâment Bruxelles pour la fermeture de la décharge. Linda estime, quant à elle, que le salut de cette communauté peut justement venir de l'UE.

"L'Europe peut faire plein de choses. Elle peut notamment fournir des fonds pour la construction de logements sociaux ou encore pour la mise en place d'un centre de gestion intégré des déchets" que la mairie promet depuis plusieurs années, dit-elle.

"L'Europe est correcte et ouverte (...) mais le problème vient d'en haut, du gouvernement", déplore Mme Zsiga, mettant en cause la "corruption" de la classe politique.

Mateias, 51 ans, partage son opinion : "L'UE fait un très bon boulot, elle nous impose des règles - sauf qu'elles ne sont pas respectées", regrette-t-il.

Ce menuisier indépendant travaille comme journalier et admet aussi fouiller les ordures autour de "Dallas" afin de récupérer des vêtements ou des cartons à brûler lorsqu'il est à court de bois de chauffage.

Loin de la ville et de ses loisirs, Bebe, 11 ans, raconte passer ses après-midis à jouer au football dans le bidonville avec ses copains. Tous les matins, il va néanmoins à l'école à Cluj, à bord d'un car scolaire - maigre compensation offerte par la mairie à ces familles défavorisées.

mr/smk/bds

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