En Syrie, les menuisiers de la Ghouta dépoussièrent leurs ateliers

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Par Maher AL MOUNES - Saqba (Syrie) (AFP)
Publié le 24 août 2018 - 11:51
Mis à jour le 25 août 2018 - 15:16
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Le menuisier syrien Houssam Obeid dans son atelier de Saqba, dans la Ghouta orientale, près de Damas, le 13 août 2018
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© Maher AL MOUNES / AFP
Le menuisier syrien Houssam Obeid dans son atelier de Saqba, dans la Ghouta orientale, près de Damas, le 13 août 2018
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Abou Souleimane sourit en pénétrant dans son atelier près de Damas, abandonné pendant six ans à cause de la guerre: l'imposant placard qu'il avait commencé à fabriquer pour le mariage de son fils est toujours là, couvert de toiles d'araignée mais intact.

L'atelier est situé à Saqba, une localité de la Ghouta orientale, une région qui avait plongé dans la spirale de la violence en 2012 quand les rebelles opposés au président Bachar al-Assad en avaient conquis une grande partie.

Pour la reprendre en avril, le régime, appuyé par son allié russe, a imposé un siège asphyxiant de près de cinq ans suivi d'une offensive dévastatrice et meurtrière.

Quelques mois après le retour des forces gouvernementales, Abou Souleimane a pu retrouver sa boutique dans une localité autrefois réputée à travers toute la Syrie pour le savoir-faire de ses menuisiers, et qui tente aujourd'hui de renouer avec une vie normale.

En cette chaude journée d'août, il déverrouille le cadenas et découvre un vieux calendrier mural figé dans le temps, en 2011, l'année où la guerre a éclaté en Syrie.

Il époussette un placard décoré d'élégantes fleurs sculptées dans le bois, un des meubles qui doit composer la chambre à coucher de son fils, une fois qu'il sera marié.

"J'ai commencé à fabriquer cette chambre (à coucher) il y a huit ans, mais je ne l'ai jamais terminée", lâche l'homme aux cheveux grisonnants.

- "Prêt à recommencer" -

En 2011, au moment des manifestations prodémocratie réprimées par le pouvoir, l'artisan de 53 ans avait poussé son fils à quitter la Syrie, craignant que la situation ne dégénère.

"J'attends son retour pour qu'on puisse terminer (la chambre) ensemble. Ce sera son cadeau de mariage", confie-t-il.

Abou Souleimane n'a lui jamais quitté Saqba mais avec les combats et la paralysie économique, il avait dû fermer son atelier et multiplier les petits boulots.

Comme lui, la plupart des artisans de Saqba avaient aussi baissé le rideau, faute de clients et de pouvoir transporter leur marchandise vers les autres régions du pays, morcelé par une guerre dévastatrice qui a fait plus de 350.000 morts.

Avant le conflit, les centaines d'ateliers de menuiserie de Saqba vendaient leur production dans toute la Syrie mais aussi au Liban, en Jordanie, dans les pays du Golfe ou à Chypre, assurent des artisans locaux.

Aujourd'hui, l'activité reprend. Dans une rue où s'alignent les immeubles endommagés, résonne le bruit des marteaux. Propriétaires et ouvriers dépoussièrent leurs établis, recommencent à manier leurs outils et inspectent les stocks, après des années d'absence.

Tous les matins, Youssef al-Qabouni, 50 ans, vient désormais s'installer dans son atelier, dans le centre de Saqba.

Des années durant, il a conçu des meubles pour des hôtels et des restaurants de Damas. Aujourd'hui, ses clients viennent surtout le solliciter pour réparer des portes ou des fenêtres, dans les maisons de la Ghouta détruites par les violences.

"Je pratique ce métier depuis l'âge de dix ans", s'enorgueillit-il. "Durant les années de guerre, on a complètement arrêté de travailler, mais maintenant je suis prêt à recommencer".

- "Métier d'avenir" -

Pendant les années de siège, pour faire face aux hivers très rudes, aux pénuries de carburant et à une situation économique difficile, les habitants détruisaient leurs meubles pour se chauffer avec le bois ainsi coupé ou pour le vendre à d'autres personnes.

"J'arrêtais les gens qui voulaient casser leurs meubles pour en faire du bois de chauffage", se souvient en souriant le menuisier Abou Nader.

"Je les suppliais de ne pas faire ça. J'avais l'impression que chaque morceau de bois travaillé à la main était une partie de mon coeur", ajoute-t-il.

Dans l'atelier de Houssam Obeid, plusieurs menuisiers du quartier sont rassemblés autour d'un thé, le temps d'une pause.

L'artisan de 46 ans vante les mérites de Saqba, surnommée "la cité du meuble".

Ici "chaque famille compte au moins deux ou trois" menuisiers, lance-t-il avec enthousiasme.

Lui-même vient à peine de rouvrir les portes de son atelier et il a enrôlé son fils de 16 ans, Alaa, pour lui inculquer "les secrets de la profession" et l'encourager à prendre la relève.

"Durant la reconstruction, il y aura beaucoup de demande pour les menuisiers", se réjouit-il.

Et de conclure: "C'est le métier de l'avenir. Tout le monde veut reconstruire sa maison, refaire ses portes et ses fenêtres".

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