Enfouissement, honte, reconstruction... : le difficile parcours des victimes de pédophilie dans l'Eglise

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Par Karine PERRET - Paris (AFP)
Publié le 31 octobre 2018 - 18:40
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Véronique Garnier, le 30 octobre 2018 devant le tribunal de grande instance d'Orléans
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© GUILLAUME SOUVANT / AFP
Véronique Garnier, le 30 octobre 2018 devant le tribunal de grande instance d'Orléans
© GUILLAUME SOUVANT / AFP

Enfouissement, culpabilité, traumatismes puis flashbacks: des victimes de pédophilie dans l'Eglise, dont certaines seront à Lourdes à l'assemblée des évêques samedi, fouillent leur passé, en même temps que la parole se libère, parfois à la faveur de révélation de scandales. Elles témoignent à l'AFP.

- Honte, culpabilité, et enfouissement -

"Je suis resté 12-13 ans dans le silence. Je l'ai tu par honte et culpabilité", raconte Olivier Savignac. Le trentenaire, victime d'attouchements à l'âge de 13 ans lors d'un camp de jeunes, sera samedi à Lourdes. Mardi il était à Orléans, partie civile dans le procès de son agresseur, l'abbé Pierre de Castelet, et de l'ex-évêque Mgr André Fort, poursuivi, pour non-dénonciation (des peines de prison ont été requises contre les deux ecclésiastiques).

"C'est un syndrome du stress post-traumatique. J'étais toujours conscient des faits mais je les avais enfouis en me créant des vies différentes pour oublier", affirme Didier, ancien scout qui dit avoir été victime, à l'âge de 9 ans, et comme quelque 70 autres scouts, du père Preynat, dans la région lyonnaise (affaire dans laquelle ce dernier a été mis en examen en janvier 2016 et placé sous contrôle judiciaire pour des agressions sexuelles).

Ce qui explique selon lui ses moments difficiles, par exemple une "adolescence terrible, à sniffer de la colle dans le métro" ou "des phases d'alcoolisme passagères". Ce n'est qu'en regardant, en 2016, un reportage télévisé sur l'association de victimes La parole libérée qu'il a pu commencer à en parler. "J'ai senti comme un ravin qui s'ouvrait devant moi".

"Je l'ai enfoui pendant 35 ans", observe lui aussi le père Alain (le prénom a été modifié) victime devenue... prêtre. "J'ai été ordonné avant que cela me revienne à la conscience. Si c'était revenu avant, je n'aurais jamais pu le devenir", témoigne ce curé, présent à Lourdes aussi, et qui préfère garder l'anonymat. Lui a subi "les plus grandes violences" quand il avait 8 ans lors d'une colonie paroissiale. L'élément déclencheur de ses souvenirs ? Un départ à l'étranger il y a une dizaine d'années lui donnant l'impression de revivre le même contexte que lors son départ en colonie. "Quand j'ai pris conscience, c'est un monde qui s'est écroulé".

Membre de La Parole libérée, Jean-Yves Sailler raconte qu'il ne parvient "pas précisément à dater" les "séances personnalisées" du père Preynat (à l'âge de 7 ans ? 8 ans ?). Cela été "comme tenu à distance". Ce n'est qu'en 2014 que "des images sont ressorties, en discutant avec une amie. Ca a été violent".

- Des prêtres charismatiques ou amis de la famille -

"Le prêtre avait un charisme impressionnant. Mes parents l'admiraient et l'invitaient à la maison", raconte Jean-Pierre Martin-Vallas, 73 ans, victime d'un prêtre jésuite. Véronique Garnier a subi les attouchements d'un prêtre ami de la famille, pendant deux ans toutes les semaines, à Nancy, à l'âge de 13 ans. Elle a bien essayé d'en parler à ses parents "mais ils ne m'ont pas crue".

"Mes parents considéraient très bien le père Preynat qui avait un grand charisme", souligne Jean-Yves Sailler. "C'était un peu mon deuxième papa", raconte une autre victime.

- Justice, écriture, prévention pour se reconstruire -

"Avec du temps, il faut traverser plusieurs choses: la sidération, la douleur, le sentiment de souillure, la honte imposée par l'abus, la colère, le sentiment d'abandon", explique Stéphane Joulain, prêtre psychothérapeute.

Pour passer outre les "7 à 8 ans de sa vie très compliqués", Olivier Savignac n'hésite pas à raconter son travail "personnel" - psychothérapie, retraites dans des monastères. "J'ai transcendé tout ça parce que j'étais musicien", dit celui qui a joué dans un groupe de rock. Et puis il y a la réparation devant les tribunaux. Mardi, à Orléans, il a dit "merci à la justice. La reconnaissance pour nous, ça fait un bien fou".

"Séances de psy" occasionnelles, action devant la justice (civile), procédure du procès canonique (c'est-à-dire selon la justice de l'Eglise) du père Preynat: pour Didier, "la reconstruction se fait maintenant".

Véronique Garnier a pour sa part beaucoup écrit pendant trois ans, et compilé son travail en un livre, sorti en 2017, qui raconte sa reconstruction personnelle et spirituelle. Devenue déléguée épiscopale pour la protection des enfants dans le diocèse d'Orléans, le travail qu'elle y mène est "réparateur". C'est "douloureux, mais c'est aussi pour donner espoir à des personnes qui ont vécu la même chose".

Pour le père Alain, en "analyse depuis 10 ans", c'est le soutien des amis et de la famille, la passion de la photographie, ou encore "la colère, qui (lui) permet de relever la tête".

- Et la foi ? -

Olivier Savignac s'en sort "grâce à la foi". Pas question de "diaboliser l'institution". Pour lui "la résilience a lieu" grâce au combat qu'il mène entre reconnaissance et prévention auprès des jeunes.

"Abîmée" mais toujours "croyante", Véronique Garnier garde des "blessures au niveau spirituel" mais travaille avec des théologiens "pour trouver des réponses".

"Des images de Dieu se sont cassées", reconnait le père Alain. "Est-ce que l'Eglise me donnera à l'avenir les raisons suffisantes pour rester prêtre ? C'est difficile de représenter une institution qui m'a fait tant de mal. Mais j'aime ce que je fais. Il y a des joies".

Jean-Yves Sailler ne se dit plus catholique. "En revanche, je pense qu'il existe un fond spirituel, qui n'appartient à aucune religion".

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