Entre autel et planches, Frère Grégoire bouscule les codes de l'Eglise

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Par Sandra FERRER - ILE AUX MOINES (France) (AFP)
Publié le 10 août 2018 - 11:35
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Le Frère Grégoire à l'Ile-aux-Moines le 3 août 2018.
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© Fred TANNEAU / AFP
Le Frère Grégoire à l'Ile-aux-Moines le 3 août 2018.
© Fred TANNEAU / AFP

A midi, il célèbre la messe. Le soir venu, il revêt ses habits de comédien. En quête du pourquoi de la vie, de la mort ou du mal, Frère Grégoire, vicaire de l'Ile-aux-Moines, bouscule avec succès le formalisme dans l'Eglise.

Cheveux bouclés, nez droit, lèvres charnues, menton volontaire: le prêtre semble tout droit venu de la Grèce antique. La sérénité qu'il dégage est de celle des kalos kagathos, ces athlètes représentant le citoyen grec beau de corps et sain d'esprit. De nos jours, on dirait de lui que c'est un beau gosse.

Vêtu d'un bermuda beige, d'une chemise noire en lin et de sandales, c'est en vélo qu'il arrive en ce début d'août caniculaire à l'église de la petite île du Golfe du Morbihan où il dit la messe.

"Il m'a ramené à l'Eglise, comme il ramène beaucoup de gens", assure Ponové Saliga, originaire de Nouvelle-Calédonie. "Ses sermons sont extraordinaires. Il sort du carcan et puis on rigole", enchaîne Maurice Bellego, son mari, natif de l'île. "Il est de son temps, vivant, naturel. Si tous les curés étaient comme lui, il y aurait plus de monde dans les églises", poursuit ce non-croyant.

La célébration eucharistique terminée, Frère Grégoire enfourche à nouveau son vélo pour revenir au presbytère, où, le soir venu, il joue les textes du poète, romancier et essayiste Christian Bobin, chaque année un nouveau qu'il prépare longuement.

Car si l'homme a décidé sa vocation religieuse il y a 23 ans, il n'est acteur que depuis 2012. "Je me suis formé avec un ami comédien", explique-t-il, savourant un tartare, avant une courte sieste et un bain de mer.

Grégoire Plus naît en 1971 à Lisieux, d'un père graphiste et d'une mère au foyer. Avec ses sept frères et soeurs, il reçoit une éducation catholique classique qui forge son caractère "rebelle".

A l'école il s'ennuie, et à 14 ans est envoyé en internat. Après le bac, il étudie les relations internationales, sort, voyage, mais s'ennuie encore. Alors qu'il prépare des concours de la fonction publique dans le calme de la communauté Saint-Jean --qu'il fréquentait étant enfant-- il est frappé par "l'extrême liberté" des frères qu'il y côtoie.

Avide de la "lumière" qui "éclaire les questions existentielles", ce "cherchant-Dieu", comme il se définit, décide de "tout lâcher", alors qu'il n'a jamais imaginé devenir un jour prêtre. "Je suis assez rebelle par rapport au formalisme dans le monde chrétien qui détourne les gens de Dieu", explique-t-il. Six ans plus tard, il prononce ses voeux perpétuels.

Il va étudier la philosophie qu'il enseignera pendant une dizaine d'années en France, Pologne, Allemagne, Etats-Unis, Philippines et Malaisie, dans des universités, séminaires ou congrégations.

- Découverte de "l'Homme-joie" -

Puis, dans un aéroport, il y a six ans, il découvre l'oeuvre de Christian Bobin et son "Homme-joie". Il remplace alors ses cours de philo par des seuls en scène, au festival d'Avignon notamment, et depuis un an à l'Ile-aux-Moines.

"La seule tristesse qui se rencontre dans cette vie vient de notre incapacité de la recevoir sans l'assombrir par le sentiment que quelque chose en elle nous est dû. Rien ne nous est dû dans cette vie, pas même l'innocence d'un ciel bleu", déclame le religieux à la lumière d'une bougie, sa voix entrecoupée de silences méditatifs.

Dans la petite salle à manger du presbytère aménagée en théâtre, une vingtaine de personnes, jeunes et moins jeunes, boivent ses paroles.

"On peut rester dix ans célibataire dans un mariage, on peut parler des heures sans dire un mot, on peut coucher avec la terre entière et rester vierge", enchaîne le comédien, pieds nus, dans une mise en scène épurée intitulée: "Cette vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va".

Les textes de l'auteur du "Très-Bas" "parlent à tout le monde", assure le comédien, reconnaissant se cacher derrière les mots du poète.

Annie Bourgoin, 71 ans, sort "bouleversée" par l'"incroyable profondeur" qui se dégage du comédien qu'elle dit vouloir désormais voir lors d'une messe à l'église ou sur une plage, où il a également l'habitude de célébrer.

L'Ile-aux-Moines, où n'aurait en réalité jamais vécu aucun moine, porte enfin bien son nom.

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