Grandeur et misère des Sciences au Brésil

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Par Pascale TROUILLAUD - Rio de Janeiro (AFP)
Publié le 06 décembre 2018 - 09:45
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Une étudiante à l'université fédérale de Rio de Janeiro travaille dans le laboratoire de biologie de l'université, le 27 novembre 2018
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© Mauro Pimentel / AFP/Archives
Une étudiante à l'université fédérale de Rio de Janeiro travaille dans le laboratoire de biologie de l'université, le 27 novembre 2018
© Mauro Pimentel / AFP/Archives

"Quand j'ai vu le Musée national de Rio en feu à la télévision, je me suis mis à pleurer", raconte Luiz Davidovich, physicien de renom, pour qui les sciences sont, au Brésil, dans le même état de délabrement que la culture.

"Dans les laboratoires de l'Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), des chercheurs achètent sur leurs deniers personnels du matériel ou des souris génétiquement modifiées pour faire leur recherche sur le (virus) Zika", explique le professeur Davidovich, président de l'Académie des sciences.

A l'UFRJ, Michelle Klautau, spécialiste des éponges marines, accueille les journalistes de l'AFP en leur tendant un graphique où la courbe du budget des sciences a la forme abrupte du Pain de sucre.

Après un pic dans les années 2010, il a diminué des deux tiers dans un Brésil en récession.

La biologiste montre tout ce qu'elle a dû financer dans son labo pour poursuivre sa recherche: "Un appareil photographique de 1.200 euros, deux climatisations sur trois, la majorité des chaises, la peinture, le carrelage".

"On arrive à un point où cela va être impossible", dit-elle, "le chercheur ne va pas pouvoir continuer de financer sa recherche avec son salaire".

"Déjà on commence à diminuer le nombre d'étudiants dans nos laboratoires, le nombre de projets, et souvent leur ampleur". Les bourses aussi.

L'un de ses étudiants, Marcio França, montre la "caixinha", une petite boîte qui reçoit les réais de l'équipe pour acheter l'eau, le café, le papier hygiénique du labo.

Grand pays scientifique, le Brésil, qui vient d'inaugurer l'un des accélérateurs de particules les plus puissants au monde, a vu les travaux de ses chercheurs publiés dans les revues internationales et connu un essor dans de nombreux domaines grâce aux sciences.

Que ce soit pour l'extraction hautement technologique du pétrole dans les gisements présalifères, l'expansion des productions animales ou le triplement de la production de soja.

- "Science menacée" -

"Ce n'était pas un miracle, c'était la science", dit le professeur Davidovich, qui a travaillé avec le Français Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012. Une science qui a décollé sous la dictature militaire (1964-85), car liée à la sécurité nationale. "On parlait des jeunes colonels de la recherche", dit Luiz Davidovich.

"Puis les années Lula (2003-2010) ont été formidables pour les sciences": augmentation considérable des budgets, multiplication des campus universitaires, création d'infrastructures pour la recherche.

Jusqu'à ce que les budgets se contractent avec la crise économique sous sa dauphine Dilma Rousseff, dont le successeur Michel Temer a décidé d'un gel catastrophique des dépenses publiques sur 20 ans, y compris pour les sciences, jugées non prioritaires.

"La science au Brésil est menacée par le manque de fonds", dit, à un autre étage de l'UFRJ, Marcos Farina, professeur à l'Institut des sciences biomédicales.

"Quand il pleut beaucoup, le lendemain ça forme une piscine" dans les plafonds. "Puis l'eau commence à goutter sur nos équipements", dit-il en montrant un microscope japonais à épifluorescence recouvert, comme tous les autres instruments, d'une bâche en plastique.

"Individuellement, tous les chercheurs travaillent avec amour", ajoute-t-il, "mais leur passion peut avoir un mauvais côté, parce qu'ils réparent (ce qui ne marche pas) alors que ce devrait être le rôle de l'institution".

Il fait lui aussi le lien avec la tragédie qu'a été en septembre l'incendie qui a réduit en cendres le Musée national de Rio, le plus grand musée d'histoire naturelle d'Amérique latine, totalement négligé financièrement malgré ses 20 millions de pièces inestimables.

- "La Terre est plate" -

Michelle Klautau "pense, chaque semaine, quand un équipement tombe en panne, à démissionner et même à l'exil, comme beaucoup de collègues".

Touché lui aussi par la fuite des cerveaux, le laboratoire de Marcos Farina, a perdu un enseignant et un post-doctorant, partis aux Etats-Unis.

"Ce qui nous donne l'énergie de continuer (...) c'est la reconnaissance de nos pairs étrangers", explique Michelle Klautau.

De nombreux scientifiques ont vu avec crainte la nomination d'un astronaute, Marcos Pontes, comme ministre de la Science du futur gouvernement d'extrême droite de Jair Bolsonaro.

"L'une des premières phrases qu'il a dites a été : je vais lutter contre les ennemis internes", dit le professeur Farina. "Je n'ai aucune idée de ce qui va se passer".

"Il y a des gens dans ce gouvernement qui pensent que la Terre est plate et qu'Isaac Newton était un imposteur. C'est effrayant".

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