A Guantanamo, les gardiens se succèdent, les prisonniers restent

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Par Sylvie LANTEAUME - Base américaine de Guantanamo (Cuba) (AFP)
Publié le 08 novembre 2018 - 07:45
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La prison de Guantanamo sur la base militaire américaine située sur l'île de Cuba, photographiée le 16 octobre 2018
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© Sylvie LANTEAUME / AFP
La prison de Guantanamo sur la base militaire américaine située sur l'île de Cuba, photographiée le 16 octobre 2018
© Sylvie LANTEAUME / AFP

Les 40 détenus de Guantanamo n'ont aucun espoir d'en sortir, mais les 1.800 militaires qui les gardent et entretiennent le centre de détention défilent, eux, à un rythme soutenu au risque de méconnaître les besoins des prisonniers et d'amplifier leur isolement.

Les plus anciens prisonniers ont déjà passé 16 ans sur la base militaire américaine de Guantanamo Bay, à la pointe sud-est de l'île de Cuba, mais le personnel militaire y effectue des rotations de 6 à 9 mois selon les fonctions, un an maximum pour certains postes, comme l'ont indiqué plusieurs responsables du centre au cours d'une récente visite de presse.

Depuis 2002, 18 amiraux et généraux se sont succédé pour gérer le centre de détention. Aujourd'hui, c'est l'amiral John Ring, ancien commandant du porte-avions Nimitz, qui le dirige.

Lorsqu'on lui demande quand ont cessé les mauvais traitement imposés aux prisonniers dont il a la charge (officiellement, c'est en 2004), il répond: "Je n'étais pas là. Je ne connais pas tous les détails".

Si on le questionne sur les grèves de la faim que les prisonniers mènent régulièrement, il refuse de les dénombrer. "Je ne suis là que depuis un an", note-t-il.

Or la prison de Guantanamo doit rester ouverte pendant 25 ans au moins, comme le Pentagone l'a décidé récemment et cette situation ne peut pas durer, admet l'amiral Ring.

"Un des problèmes que nous avons, c'est le manque de continuité", reconnaît-il. "Je viens donc de recruter un adjoint civil", qui est censé rester plus longtemps sur place.

"Il est certain que nous voulons garder les gens ici plus longtemps", ajoute-t-il, notant cependant que la base manque de logements et qu'il faudra encore des années avant que les choses changent.

- Déshumanisation -

Parmi le personnel militaire dont les rotations sont les plus courtes, trois psychiatres sont chargés de suivre les prisonniers qui ne sont pas jugés par des tribunaux civils mais par des commissions militaires, et dont les cas ont soulevé des contestations judiciaires et des délais interminables.

"Nous voyons en moyenne deux ou trois personnes par semaine", indique un de ces psychiatres qui, comme tous ceux qui approchent les prisonniers, ne porte aucune forme d'identification sur son uniforme pour des raisons de sécurité.

"La vaste majorité d'entre eux sont confrontés à des problèmes qui touchent tous ceux qui sont détenus", ajoute le psychiatre militaire, qui ne restera pas plus de 9 mois sur place. "J'essaie juste de les garder motivés".

Depuis l'ouverture de la prison de Guantanamo en 2002, 9 détenus sont morts sur place, dont 7 se sont suicidés. Un prisonnier a succombé à un cancer et un autre à une crise cardiaque.

L'American Psychological Association, la plus grande organisation professionnelle de psychiatrie aux Etats-Unis, interdit à ses membres de pratiquer normalement à Guantanamo, car le secret médical n'y est pas assuré. Les activités des psychiatres militaires y sont donc largement réduites à la prescription de médicaments.

Comme les médecins, les gardiens ne restent que quelques mois à Guantanamo car "rester en contact plus longtemps ne serait peut-être pas une bonne chose", selon l'amiral Ring, pour qui les détenus sont des "grands manipulateurs".

Or les critiques de Guantanamo considèrent l'absence de tout contact entre les deux populations comme un risque de déresponsabilisation des gardiens et pire, de déshumanisation des détenus, ce qui représenterait une violation des conventions de Genève.

Le seul facteur de continuité du centre est un homme d'une cinquantaine d'années qui se présente sous le seul nom de "Zaki". Depuis septembre 2005, il joue le rôle de "conseiller culturel" à Guantanamo, où il conseille les cuisiniers qui doivent préparer des plats halal pour les prisonniers, mais aussi les gardiens qui doivent apprendre à respecter les heures de prière et les différences culturelles entre les prisonniers.

Pourtant, alors qu'il parle arabe, ses interactions avec les prisonniers sont très limitées: il indique n'avoir pas parlé à un seul prisonnier depuis un an.

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