"Il faut arrêter de parler de crise migratoire", dit un chercheur à l'Ifri

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Par Claire GALLEN - Paris (AFP)
Publié le 26 juin 2018 - 18:44
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Pour Matthieu Tardis, chercheur à l'Iris, "l'Europe ne vit pas une crise migratoire mais des crises politiques"
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© JORGE GUERRERO / AFP/Archives
Pour Matthieu Tardis, chercheur à l'Iris, "l'Europe ne vit pas une crise migratoire mais des crises politiques"
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"Il faut arrêter de parler de crise migratoire", estime dans un entretien à l'AFP Matthieu Tardis, chercheur à l'Ifri (Institut français des relations internationales), qui s'inquiète des "mesures d'exception" envisagées par l'Europe.

QUESTION: Peut-on parler de crise migratoire?

REPONSE: L'Europe ne vit pas une crise migratoire mais des crises politiques. La crise migratoire est derrière nous. Si on regarde les chiffres du HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), on voit que les arrivées en Europe par la Méditerranée sont passés de 1,01 million en 2015 à 172.000 l'an dernier. Depuis le début de l'année, on est à 43.000, et pour la seule Italie la baisse a été de 80%, avec seulement 16.000 arrivants au total.

Il faut aussi souligner que les migrations se font surtout dans des espaces régionaux, particulièrement pour les réfugiés: la Turquie et le Liban comptent parmi les pays qui en accueillent le plus, et de loin.

Ces chiffres ne sont pas forcément connus du grand public parce que ce qui fonctionne est la rhétorique des partis politiques: parler de "crise" est très pratique pour se déresponsabiliser.

La crise permet également de justifier des mesures d'exception. N'y a-t-il pas une contradiction à parler de "centres fermés" à l'aune de nos valeurs ? Au final, on intègre la rhétorique des partis populistes.

Mais ce ne sont pas les modérés qui tireront profit de telles annonces: ce ne sera jamais assez pour une partie de l'opinion. On l'a vu en Italie où le gouvernement précédent n'a pas tiré profit électoralement des accords qu'il a passés avec la Libye et qui ont permis de faire baisser les arrivées.

Q: Que penser des "centres fermés" proposés par la France ?

R: Ces centres posent des questions assez techniques: comment identifier ceux qui relèvent de l'asile dans un temps limité? Comment faire pour que les Etats européens qui s'engagent à accueillir des réfugiés respectent leurs engagements? Pour diverses raisons, ces engagements n'ont pas été tenus dans les "hotspots" ouverts en Grèce et en Italie en 2016.

Et comment éviter les injustices, si deux demandeurs sont entendus par des offices de pays différents, alors que les taux d'attribution du statut de réfugié varient beaucoup d'un pays à l'autre?

Pour les retours, le pays responsable sera forcément celui où se trouve le centre, même s'il peut y avoir une coopération avec Frontex. Quant à la rétention, il faut rappeler qu'il existe une directive "retour" en Europe, précisant que la rétention est la dernière mesure possible, et qu'elle ne peut durer plus de 18 mois. Tout cela risque d'être compliqué.

Cela pose, plus largement, la question de fond du transfert des compétences. La reconnaissance du droit d'asile est nationale. La France est-elle prête à ce transfert, ou veut-elle préserver ses compétences régaliennes?

Q: L'Europe sous-traite-t-elle ces questions ?

R: Même en étant mesuré, on peut craindre une tendance à l'externalisation du traitement des demandes d'asile, consistant à repousser sur des pays extérieurs à l'UE les missions liées aux réfugiés.

De ce point de vue les plateformes de désembarquement, qui se trouveraient en Afrique du nord, constituent une mesure d'exception pour répondre à une soi-disant crise.

L'Europe parle beaucoup de "réinstallation", pour aller chercher les réfugiés directement dans les pays d'origine ou de transit, en Afrique ou au Moyen Orient. Mais là aussi l'externalisation se fait sentir.

Quand on voit comment la France a mis en place ses missions de sélection, on est plus dans un instrument de gestion des flux migratoires qu'un outil de protection des réfugiés: il faut remplir un critère de "projet migratoire". Or ce critère est flou et privilégie ceux qui sont en route au détriment des réfugiés déjà dans des camps au Niger et au Tchad.

Surtout, les engagements européens de réinstallation sont très faibles par rapport aux besoins. Il faudrait ouvrir le débat sur les voies de migration légales pour les autres catégories que les réfugiés. L'Allemagne est un peu plus souple sur ces questions, mais ce débat est impossible en France.

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