Jeux vidéo et Histoire : la lente remise en question du récit occidental

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Par Taimaz SZIRNIKS - Paris (AFP)
Publié le 18 mai 2018 - 16:41
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Le jeu Call of Duty propose surtout de décimer des soldats nazis, asiatiques ou orientaux
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© DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP/Archives
Le jeu Call of Duty propose surtout de décimer des soldats nazis, asiatiques ou orientaux
© DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP/Archives

Réussir le débarquement en Normandie, tuer Hitler, sauver des soldats en Irak: les missions proposées dans les jeux vidéo diffusaient jusqu'ici une vision occidentale de l'Histoire, mais quelques jeux commencent à proposer des visions alternatives.

Adulées dans le monde entier, des grosses productions américaines comme Call of Duty ou Medal of Honor mettent en scène les armées occidentales ou russe et proposent surtout de décimer des soldats nazis, asiatiques ou orientaux, comme dans les vieux James Bond.

C'est juste un jeu? Pas vraiment. En permettant au joueur de revivre l'histoire de façon plus immersive que le cinéma ou la littérature, les jeux vidéos ont une "puissante fonction mémorielle", souligne le youtubeur Benjamin Brillaud, qui a étudié ces questions pour la chaîne Arte dans la série de documentaires "History's creed".

Le joueur parcourt des recoins de l'Histoire et peut s'imprégner d'une certaine vision des évènements, souligne Benjamin Brillaud, faisant des jeux des vecteurs de choix pour l'éducation mais aussi pour la propagande.

L'industrie du jeu vidéo s'étant principalement développée jusqu'ici en Amérique du Nord, en Europe de l'Ouest et au Japon, les créateurs de titres phares se sont surtout inspirés d'épisodes célèbres de leur Histoire: le Moyen-Âge, la Seconde Guerre mondiale, la guerre en Irak ou des accidents nucléaires.

L'Histoire de l'Amérique latine, de l'Afrique ou du Sud-Est asiatique reste rare sur les écrans, à part dans quelques jeux pointus de stratégie.

"Le but du jeu vidéo est d'abord de tracer une histoire, et pas de décentrer le joueur dans un univers qu'il ne connaît pas", souligne Laurent Turcot, professeur d'Histoire à l'Université du Québec et conseiller sur l'épisode "Révolution française" d'Assassin's Creed, le jeu du géant français Ubisoft qui traverse les siècles à chaque épisode.

"Mais à force de retravailler les mêmes séquences, ça devient lassant", regrette Laurent Turcot. Ce jeune chercheur mise sur une nouvelle génération de créateurs de jeux pour explorer des territoires vierges.

- Choix moraux -

D'autres narrations apparaissent aussi au fur et à mesure que la production de jeux vidéos se mondialise. En Chine, où les consoles de jeux étaient prohibées jusqu'en 2015, le gouvernement censure des jeux parce qu'ils proposent d'attaquer le territoire chinois, mentionnent l'existence d'un État tibétain, ou sont simplement trop violents.

Le pays, devenu le premier marché mondial du jeu vidéo, exporte de plus en plus d’œuvres, plutôt apolitiques: notamment des jeux de combat multijoueur où s'affrontent des créatures fantastiques et des héros, comme "League of Legends", un des jeux les plus joués au monde.

Depuis quelques années, de petits projets se développent aussi ici et là, porteurs d'une vision parfois très particulière de l'Histoire récente.

Au Liban, le Hezbollah a dévoilé en mars un jeu de tir sur la guerre en Syrie intitulé "Défense sacrée", qui vise à justifier l'intervention de ce mouvement islamiste allié de l'Iran dans le conflit. "Pendant que je jouais ça m'a passionné. Je voulais tirer sur tout le monde", a lancé un jeune Libanais à l'AFP lors du lancement du jeu.

Plus au sud, le petit jeu "Libération de la Palestine", développé dans la bande de Gaza et publié après la guerre de 2014 contre Israël, proposait d'acheter des armes et d'organiser des attaques pour reprendre des régions par la force, pour "développer un esprit de résistance parmi les jeunes Palestiniens", selon un de ses concepteurs.

En Jordanie ou en Iran, il y a aussi une "volonté de proposer une offre alternative à la production occidentale jugée +pro-américaine+", analyse dans un article le chercheur Hovig Ter Minassian, de l'université de Tours.

D'autres jeux, plus indépendants, tentent au contraire de déconstruire la violence.

Dans le jeu allemand de tir "Spec Ops: The line" (2011), un capitaine de l'armée américaine fait face à des choix moraux: tuer des innocents ou leur sauver la peau? Le petit jeu "Papers please" (2013) met, lui, le joueur dans la peau d'un douanier, qui doit décider s'il laisse passer ou non des émigrés.

Le beau jeu "Mulaka", publié récemment par un studio mexicain, choisit de mettre en avant une identité pour la première fois: on y effectue un voyage onirique dans le corps d'un chaman coureur du peuple Taharumara.

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