Journalistes écroués : le gouvernement turc s'en prend à la Cour constitutionnelle

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Par Luana Sarmini-Buonaccorsi - Ankara (AFP)
Publié le 12 janvier 2018 - 16:12
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan prononce un discours lors d'un meeting de son parti (AKP), à Ankara, le 9 janvier 2018
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© ADEM ALTAN / AFP/Archives
Le président turc Recep Tayyip Erdogan prononce un discours lors d'un meeting de son parti (AKP), à Ankara, le 9 janvier 2018
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Le gouvernement turc a fustigé vendredi la décision de la Cour constitutionnelle de libérer deux journalistes pendant leur procès, un arrêt resté lettre morte dans l'immédiat au grand dam des défenseurs des droits de l'homme.

La Cour constitutionnelle a "dépassé les limites de ses pouvoirs législatifs et constitutionnels" en prenant cette "mauvaise décision", a tweeté le porte-parole du gouvernement, Bekir Bozdag, appelant l'institution à ne pas se comporter comme une "cour d'appel".

L'objet de sa colère: la décision prise jeudi soir par la Cour constitutionnelle d'ordonner la remise en liberté conditionnelle de deux journalistes et écrivains, Sahin Alpay et Mehmet Altan, arrêtés et écroués dans la foulée du putsch avorté de juillet 2016.

Dans deux arrêts publiés sur son site, la cour motive sa décision en évoquant "une violation de la liberté d'expression et de la presse et une violation du droit à la sécurité et à la liberté".

Inédite depuis l'instauration de l'état d'urgence fin juillet 2016, cette décision a suscité l'optimisme des organisations de défense des droits de l'Homme, espérant qu'elle servirait d'exemple et entraînerait la libération de nombreux journalistes actuellement incarcérés en Turquie.

Mais dans la soirée, après avoir examiné leurs dossiers, deux tribunaux d'Istanbul ont tranché pour le maintien en détention de MM. Altan et Alpay, affirmant que la décision de la Cour constitutionnelle ne leur avait pas été formellement notifiée.

Sahin Alpay, 73 ans, est un ancien chroniqueur du quotidien Zaman, fermé pour ses liens avec le prédicateur Fethullah Gülen, accusé par Ankara d'être le cerveau du putsch manqué du 15 juillet 2016. Installé aux Etats-Unis, M. Gülen nie toute implication.

Mehmet Altan, 65 ans, est un écrivain qui a rédigé plusieurs ouvrages politiques. Il a été arrêté en septembre 2016, avec son frère Ahmet Altan, 67 ans, romancier et journaliste.

Tous deux sont accusés de liens avec la tentative de coup d'Etat.

"Nous ne connaissons pas le fond du dossier, la Cour constitutionnelle non plus. La bonne décision sera rendue par un tribunal de première instance", a affirmé vendredi le Premier ministre Binali Yildirim.

"En tant qu'exécutif, ce que nous attendons des tribunaux, quels qu'ils soient, c'est qu'ils ne prennent pas de décision susceptible d'affaiblir notre grand combat contre les groupes terroristes", a-t-il poursuivi.

- 'Inacceptable' -

L'étendue des purges engagées après le putsch manqué, au cours desquelles plus de 55.000 personnes ont été arrêtées et plus de 140.000 limogées ou suspendues, suscite l'inquiétude de l'opposition, d'ONG et des alliés occidentaux d'Ankara, qui dénoncent une démarche visant à faire taire toute voix critique.

Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle reste l'un des rares organes de l'Etat à ne pas être totalement contrôlé par le président Recep Tayyip Erdogan.

Tout en assurant ne pas vouloir "entrer dans la polémique", l'ancien président Abdullah Gül, qui a surpris ces dernières semaines en exprimant publiquement des désaccords avec son successeur, a estimé vendredi "qu'il était préférable, pour la justice et pour l'image de la Turquie, que les journalistes qui sont jugés comparaissent libres".

"Maintenant, nous savons pourquoi ils n'ont pas été libérés hier soir", a réagi sur Twitter Emma Sinclair-Webb, directrice Turquie de Human Rights Watch, après les déclarations de M. Bozdag.

"Il est inacceptable que des tribunaux locaux s'interposent à la plus haute instance judiciaire d'un pays, censée garantir la sécurité des journalistes et la liberté de la presse, principes majeurs dans une démocratie", s'est indigné Erol Önderoglu, représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Turquie, interrogé par l'AFP.

"L'intervention du gouvernement défie les principes défendus par le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme", a-t-il ajouté.

M. Bozdag a également établi un parallèle avec une décision similaire prise par la Cour constitutionnelle en février 2016 à propos de Can Dündar, ancien rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet.

M. Erdogan avait alors affirmé qu'il n'avait "pas de respect" pour cette décision.

La Turquie occupe la 155e place sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par RSF.

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