Juger les jihadistes : Henri Leclerc met en garde contre "une répression de masse aveugle et inefficace"

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Par AFP
Publié le 16 décembre 2017 - 11:14
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L'avocat Henri Leclerc pose dans ses bureaux à Paris le 16 décembre 2014
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© Joël SAGET / AFP/Archives
L'avocat Henri Leclerc pose dans ses bureaux à Paris le 16 décembre 2014
© Joël SAGET / AFP/Archives

Loi antiterroriste, détection de la radicalisation, retours de Syrie... Le grand avocat pénaliste Henri Leclerc met en garde contre "une répression de masse aveugle et inefficace", dans un entretien à l'AFP.

Inlassable militant de 83 ans et figure de gauche, le président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), qui vient de publier ses Mémoires ("La Parole et l'action" chez Fayard), dénonce aussi l'instauration d'"une justice prédictive" en France.

QUESTION: Vous avez été l'avocat d'indépendantistes corses et bretons accusés de "terrorisme". Pourriez-vous défendre un jihadiste comme Salah Abdeslam?

REPONSE: Personne n'est indéfendable, mais cela ne veut pas dire que l'avocat doit épouser la cause. Quand je menais un combat politique contre l'Organisation de l'armée secrète (OAS) en Algérie, j'ai été commis d'office pour défendre deux terroristes appartenant à cette organisation: l'un m'a demandé de bâtir sa défense sur la suprématie de la civilisation blanche, l'autre m'a parlé de sa terre, ses racines. J'ai refusé le premier et accepté le second.

Le cas de Salah Abdeslam (seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre 2015, ndlr), muré dans le silence, est très particulier: il refuse de se défendre devant la justice française. On ne peut défendre quelqu'un malgré lui.

Q: Les combattants du groupe Etat islamique (EI) sont en fuite ou acculés en Syrie. Comment gérer le retour en France des familles de jihadistes?

R: Il ne faut jamais laisser la réponse au terrorisme aux mains de l'opinion publique qui serait, sans doute, dans certains cas, favorable au rétablissement de la peine de mort.

La France a fait le choix de ne pas déchoir de leur nationalité les Français partis combattre en Syrie. Et le code pénal spécifie que "la loi s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme (...) commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français". S'ils demandent à rentrer, ils doivent donc être jugés en France.

Quant aux femmes, elles sont certes souvent parties de leur plein gré et ont fait partie intégrante de l'EI. Mais, à leur retour, il faudra tenir compte de la vie qu'elles ont connue là-bas: certaines ont été réduites en esclavage, d'autres mariées quatre fois, la plupart ont été dans l'incapacité de rentrer.

Les enfants sont encore un cas à part: ils ne peuvent payer pour les fautes de leurs parents et on doit impérativement organiser leur retour. Pour ceux de plus de treize ans qui auraient combattu, là encore il faut qu'ils soient jugés dans notre pays par la justice des mineurs.

Q: Quel bilan tirez-vous du durcissement de la politique pénale engagé par le parquet antiterroriste il y a un peu plus de 18 mois?

R: Il y a un risque de tomber dans une répression de masse aveugle et inefficace. L'association de malfaiteurs terroriste criminelle s'applique trop largement, aussi bien au fanatique qui a combattu en zone irako-syrienne qu'au mineur, fragile et manipulé, se targuant sur les réseaux sociaux de vouloir commettre un attentat.

Je suis aussi surpris par l'automaticité des peines - en moyenne 10 ans de prison - prononcées à l'encontre des "revenants" de Syrie. La justice n'est pas un instrument militaire, on se doit d'individualiser la sanction en fonction de la personnalité, de la possibilité de réinsertion, des actes commis...

Enfin, s'il faut bien sûr condamner, il ne faut pas oublier que la prison est un lieu de radicalisation évident. Il faut tripler le budget de la justice pour doter le personnel pénitentiaire de moyens, favoriser les libérations conditionnelles et les aménagements de peine afin de réduire au maximum le risque de récidive.

Q: Craignez-vous avec la dernière loi antiterroriste, entrée en vigueur en novembre, une banalisation de l'état d'urgence?

R: Avec cette loi, le gouvernement n'a pas supprimé ce dispositif, il l'a en grande partie pérennisé. La LDH a saisi le Conseil d'Etat de quatre questions prioritaires de constitutionnalité car certains dispositifs (assignation dans une commune, visite domiciliaire, fermeture de lieux de culte...) ne sont pas suffisamment encadrés.

L'autre problème est que notre justice devient prédictive: on ne vise plus une personne pour les actes commis, mais pour sa dangerosité éventuelle. C'est une "loi des suspects" qui peut conduire à de multiples dérives.

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