Le combat contre le handicap d'une avocate aveugle éthiopienne

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Par AFP
Publié le 25 octobre 2017 - 11:29
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Yetnebersh Nigussie dans sa classe d'élèves handicapés le 29 octobre 2009 à Addis Abeba
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© AARON MAASCHO / AFP/Archives
Yetnebersh Nigussie dans sa classe d'élèves handicapés le 29 octobre 2009 à Addis Abeba
© AARON MAASCHO / AFP/Archives

La première bataille de Yetnebersh Nigussie pour les droits des handicapés s'est déroulée à l'université d'Addis Abeba où elle a obtenu que l'administration fournisse des manuels en braille aux étudiants aveugles comme elle.

Peu après, cette avocate aujourd'hui âgée de 35 ans s'est lancée à plein temps dans la défense des droits des millions d'Ethiopiens souffrant d'un handicap. Et le mois dernier, son combat a été récompensé par le Right Livelihood Award, une distinction parfois appelée "le prix Nobel alternatif".

Mais la militante considère n'en n'avoir pas pour autant fini.

"Des millions de gens souffrant de handicaps vivent encore dans l'indigence et la privation de dignité", dit-elle à l'AFP. "Nous devons vraiment faire valoir auprès de la population que les personnes souffrant d'un handicap ont une infirmité mais 99 talents".

Le prix, fondé en 1980 par l'ancien eurodéputé écologiste suédo-allemand Jakob von Uexkull, après le refus de la fondation Nobel de créer des prix pour l'environnement et le développement, veut "faire honneur et soutenir ceux qui apportent des réponses pratiques et exemplaires aux défis les plus pressants", selon la Right Livelihood Award Foundation.

Citée pour "son travail enthousiasment en faveur de la promotion des droits et de l'intégration des gens souffrant de handicaps", Mme Yetnebersh dit considérer son prix comme une façon d'amplifier son message: les handicapés doivent être traités en égaux.

"C'est un pas en avant vers la reconnaissance que le handicap n'a rien à voir avec la charité mais concerne l'égalité. Il s'agit de droits de l'homme et de justice", assure-t-elle.

Selon un rapport de 2011 de la Banque mondiale et de l'Organisation mondiale de la santé, on compterait quelque 15 millions de handicaptés en Ethiopie, près d'un cinquième de la population.

La plupart n'ont guère de perspectives dans un pays figurant parmi les plus pauvres d'Afrique et où le handicap est souvent considéré comme une malédiction.

"Personne ne reconnait que les gens valides peuvent se retrouver handicapés du jour au lendemain à cause d'un accident ou d'autre chose", explique Nemera Woyessa, représentant en Ethiopie de Light for the World, une organisation de défense des droits des handicapés avec qui travaille Mme Yetnebersh.

- Handicap et dignité -

Dans des villes d'Ethiopie comme la capitale Addis Abeba, les handicapés attendent aux carrefours et le long des trottoirs qu'on leur fasse la charité, une pratique si courante qu'on n'y fait même plus attention.

Sauf Mme Yetnebersh. "Mendier vous prive de dignité. Cela met votre vie à la merci des autres", dit-elle.

Avant elle, les organisations caritatives avaient tendance à n'aider que les gens souffrant de certains handicaps, une approche que Mme Yetnebersh pour ne faire qu'accroitre les inégalités.

"Il y avait des services pour les handicapés avant nous mais ils fonctionnaient selon des paramètres qui ajoutaient de la ségrégation", dit-elle.

Rendue aveugle à la suite d'une méningite à l'âge de 5 ans, elle-même a suivi l'enseignement d'une école catholique pour aveugles puis, excellente élève, a continué sa scolarité et pris la tête d'organisations d'élèves au lycée et à l'université.

En 2005, elle lance son organisation, l'Ethiopian Centre for Disability and Development (ECDD), pour mener son propre combat contre le handicap.

Depuis, elle a convaincu le gouvernement d'adopter des normes prévoyant que de nombreux bâtiments soient mieux adaptés aux handicapés, pourvus par exemple d'entrées plus larges et des panneaux en braille.

Elle a aussi publié un guide des hôtels, restaurants et administrations de la capitale détaillant leurs équipements pour handicapés.

Son insistance a payé, estime M. Nemera, et aujourd'hui "chaque gouvernement doit tenir compte du handicap" dans ses projets.

Pour Mme Yetnebersh, tirer les handicapés éthiopiens de la mendicité reste une priorité.

l'ECDD coopère avec plus de 120 organisations d'entrepreneurs handicapés en Ethiopie pour déterminer quelles activités sont les plus susceptibles de permettre aux handicapés d'accéder à un travail, de producteur laitier à fabricant de tapis.

"On ne veut pas miser sur ce dont ils ont besoin mais sur ce qu'ils peuvent faire", explique la jeune femme qui est mariée et mère de deux filles.

Mme Yetnebersh ne sait pas encore exactement ce qu'elle va faire de son prix, l'équivalent de 373.000 dollars, une récompense qu'elle doit partager avec deux autres lauréats.

Mais elle se réjouit déjà de la notoriété qu'il lui a apportée. "L'inégalité, quelle qu'elle soit, représente une menace pour l'égalité de tous. C'est le message que je souhaite envoyer", dit-elle.

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